Flipote

Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes. Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres sujets.

Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur — mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.


Toile représentant Françoise Giojuzza, alias Flipote. On peut lire\nla signature de l’auteur\u00a0: Jean Dreux, 1976

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.

Nostalgie

Sicilia bella !
Sicilia cara !
Tu es mon beau fruit défendu
Tu es mon beau rêve perdu
Mon absence subie
Ma nostalgie

Et chaque nuit, et chaque nuit,
Moi, je demande à l’hirondelle
De prendre mon âme sur son aile
Vers ton doux parfum d’asphodèle
De basilic, de figue mure
Pour retrouver la joie si pure
De l’odeur des heures passées,
Et par le destin confisquées

Sicile, terre si lointaine
Mon vieux cœur, il a tant de peine !
Tu es mon rêve inassouvi
Dans mon âme, à jamais tu vis
Je revois les toits de Raguse, :
J’entends tes cloches, Syracuse
Sicilia bella !
Sicilia cara !

Nous, poètes mineurs

Tous, ici, n’avons garde de nous croire des dieux :
Certes ne sommes pas, Hugo, ni Baudeloire,
Mais au mont des poèt’ serons toujours les « fieux »
Des poètes mineurs qui meublent nos mémoires,

Et ces poètes là, vois-tu, sont d’un grand prix :
Ils ont bercé longtemps tout un peuple précaire
Qui « buvait » par l’oreille cette vraie poésie
Même ne courant point le salon littéraire !

On n’les entendait pas, c’est vrai, chez Rambouillet,
Ni chez Reine Margot, de belles lettres éprise,
Mais leurs cris, leurs sanglots, parfois leurs durs pamphlets
Ont nourri tout un peuple à la destinée grise !

Je suis fière d’en être, ou du moins d’essayer
Haute société ! pas seule, en ce loisir !
Parfois il est bien doux de pouvoir la niquer
Moucher de riches cons, c’est délicat plaisir

Nouveaux Haikus

« Maman ! Le facteur !
Allez ! Viens, il rigol’pas
C’est pour une amende ! »

Ma loutre si gaie,
Quand tu joues avec tes sœurs
Que la vie est bonne !

Le facteur se hâte
Mais il ne rigole pas
Il roule, sévère

L’Homme réfléchit,
L’Éternel se met à rire :
« P’tit bonhomme va ! »

Nous avons cueilli
Des fruits toute la soirée
Après les brugnons

Dans la douce nuit,
Qui cueillera les étoiles,
Ce soir, dans le ciel ?

Le maître d’école,
Un papillon sur l’épaule
Mais il n’a rien vu !

Ton cœur et mon cœur,
Chantent la même musique
Je tremble et j’ai peur.

Le vent sur la rose :
Il l’agite et la travaille
La rose est en larmes

La chatte s’en va,
La queue dressée vers le ciel
Elle est fâchée

Solitude noire,
Au loin, le chant d’un tzigane
Et mon cœur se brise.

As tu vu, Lulu
Le beau croissant biscornu
Dans le ciel tout nu ?

Il est revenu,
De cette guerre inhumaine !
Moi, j’entre au couvent.

Inspiré d’un fait divers vrai, raconté dans un de ses romans par François Mauriac.

Haikus Jumeaux

Croisant ma Léa,
J’ai peur de la regarder.
Mais qu’est ce que j’ai ?

La voilà la belle !
Regard’si elle me regarde !
Moi, je ne peux pas

Patte de velours,
Gratte, gratte le chemin
Hérisson d’amour

Il fait presque nuit,
Mais je vois ton œil qui luit,
Hérisson petit !

Nouveaux haïkus

Tiens ! Les sanglots cessent !
Elle s’endort, apaisée
Le chat sur ses pieds.

Le figuier embaume.
Treize ans déjà, que de lui
Je suis sans nouvelles !

Neige sur le parc
La mésange s’approche
Et me fait la manche

Plus rien sur la table du jardin,
Qu’une demi pomme, des miettes de pain, un vieux couteau

La mémé est morte.
L’horloge fait tic, tac, tic…
Je voile la glace.

Ton visage sur mon épaule
Sur ma joue, tes cheveux noirs, fleuve si doux

Un très grand Noir passe sur le chemin
Poussant à la main un tout petit vélo.

Essoufflé, s’arrête
Le chercheur de champignons
Silence figé.

Onze heure du soir :
Éclats de rire sur la route
En bas du ravin ! ?

Lune sur l’étang
Ouf ! plus personne à la pêche
Silence magique.

La couleuvre ondule
Sur les dalles du jardin
Vis ta vie, chérie.

Une bonne odeur
Sur le feu chaud qui s’éteint.
Ma vie s’écoule

Les nuages roses
Avant le doux crépuscule !
Le Jacky s’en fout !

Ni souffle ni bruit
La belle glace noircit
Papillon de nuit !

Va, lance ton cœur
Bien loin, par dessus la haie,
Ton cheval suivra.

Mare aux poissons rouges
Un héron blanc la survole…
Irai-je ? j’hésite…

O monnaie du pape
Bulle de savon
Tiens ! Ceci est un mutant !
Fine aragne blonde
Belle plume d’ange

Ceci n’est déjà plus un haiku, j’ai voulu lancer dans le vent un papillon léger, léger, léger, léger. Il a deux ailes de chaque côté. Ce n’est plus l’infinie légèreté, la minusculite japonaise. Le charme, le petit miracle.
Ce n’est plus un haïku, pour moi c’est un « fraïku ». Une sorte de petit bâtard, franco-japonais.

Nuit à la ferme

Le maître rentre à point d’heure
Trébuche et soudain s’abat
Sur le lit où Margot pleure
Son ventre collé au chat !

L’araignée file sa toile
Affamée de moucherons
Le grillon dessous le poêle
Fait : « cri-cri », douce chanson !

Sur l’oreiller de dentelle
La fille, dessous la couette
Rêve d’amour immortel
Elle est encore jeunette !

Les dernières cendres s’éteignent
La salle sent le feu qui meurt
Mais dehors, les étoiles règnent
Dort le champ, dort le tracteur

Tandis qu’en haut, sous les toits
Rêvent chouettes et souris
Et que grabottent les rats
Dans tout le grand grenier gris

Les vaches rêvent d’herbage
Où du prochain petit veau
D’un train dans le paysage
D’une pluie sur le coteau

Le cochon rêve élégance
D’être agile et bien moins gros
D’être doué pour la danse
Pour éblouir la Margot

Les escargots, au jardin
Glissent, glissent, quand tout dort
Et plus d’un fait le malin
Très fier d’être des deux bords !

Les chauv’ souris rentrées d’chasse
Sont pendues, la tête en bas
Usant d’leur sonar cocasse
Piège à cons, liège à bêtas !

Y a qu’dehors que ça vit
Ça s’agite et ça copule
Car la pleine lune agit
Sur ce monde minuscule

Au dedans, presque l’silence !
Chacun ronfle dans son lit
Aucune phosphorescence !
Consumée, chaque bougie

La mémé dort à côté
Là, bien sage dans son lit
Très fervente, elle a prié
Bien au-delà de minuit

Tous s’emploient à dormir
Pour oublier qu’on n’sait rien
Et que la mort fait frémir
Qu’on ne sait si c’est la fin

Mémé pense à son jeune âge
Se souvient d’avoir fauté
Mais le temps l’a rendue sage
Oui, le temps l’a bien calmée

Alors elle se demande
Comment donc c’est arrivé
Prend un’ tit’ liqueur d’amande
Pour oublier son péché

Et, très vite, elle s’endort
Sûre d’être pardonnée
Avec douceur, ell’ s’endort
« Benaise » et réconfortée

Nuit agitée

Mais pourquoi j’suis pas dans mon lit ?
C’est quoi donc, ce gros édredon ?
Ça pèse une tonne, une tonne et d’mi !
J’suis pas chez moi, mais pourquoi donc ?

Qui sont ces cons qui gueul’ au-d’ssus ?
On n’a jamais eu de voisins !
Ça sent le poisson, l’vieux pardessus
Y a de l’eau qui coule, pas loin

Tiens v’là que passe un gros matou !
Il me marche sur l’estomac.
Y a pas de chat pourtant chez nous,
Je l’connais pas ! Je n’l’aime pas

Au mur, y a un drôle de portrait
Qui c’est donc, c’connard à moustaches
Qui r’ssemble au maire de Saint-Gervais
« Fous moi la paix ! » et « Mort aux vaches ! »

Tiens v’là le grand-père à Gaston,
Je l’croyais mort depuis longtemps !
Il r’vient d’la pêche, l’air tout couillon
I’m’dit : « j’ai rien pris à l’étang ! »

J’vais me réveiller j’vais me réveiller !
C’est rien c’est rien c’est rien c’est rien !

C’est l’histoire de la mall’ postale !
C’est le crime du bois d’Meudon
C’est même la « lutte finale »,
C’est le grand pétage de plomb !

C’est rien ! C’est l’histoir’ du Collier !
Mais non ! Double meurtre à Picpus
L’exécution d’la Brinvilliers
Mais non ! C’est l’affaire Dreyfus !

Mais non ! peuchère, je me trompe :
C’est l’affair’ du courrier de Lyon
C’est Saint Michel-psychopompe
Qui bat des ail’ comme un grand con.

C’est le Métingue, c’est le Métingue
Mettingu’ du métropolitain !
La fanfare est un peu lourdingue
Mais j’crois qu’y en a jusqu’à demain !

Déjà il fait beaucoup moins sombre
Un peu de jour passe au volet
J’ai chaud mais j’ai le cœur à l’ombre,
Je voudrais boire un p’tit café !

J’ai mal aux ch’veux, j’ai mal au dos,
J’aurais pas dû, c’tait indigeste !
C’est pas des nuits de vrai repos
J’aurais besoin de faire la sieste

Ah ! pis maintenant, je me souviens !

Ah ! pis y avait ce petit vin
Qui redemandait le buveur !
Charnu, charpenté, très coquin,
Pour ne pas dire un enjôleur

Pas un vin pour les traîne sabots
Un vin couillu, pas du picton
Pour laver les sabots des ch’vaux,
Un grand qu’avait de la religion !

Nuit d’août en Sicile

Où sont les étoiles ? Je n’en vois plus qu’une
Dans le soir, s’élève un chant de crapauds
Un malaise obscur vient et m’importune
Le sang dans mes veines coule un peu plus chaud.
Tout le pays souffre du mal de lune !
Que se passe-t-il, que tout se détraque ?
Un cheval hennit et son sabot claque,
Quelque part au loin, dans une écurie.
Le vent de la nuit geint, désespéré
Une veuve ardente et un peu chabraque
Tourmente les gars couchés dans leurs lits
Traverse les rêv’ de Monsieur l’abbé.

Déjà minuit sonne
Mon Dieu, qu’il fait chaud !
L’abbé déraisonne :
La Lune est là-haut,
Puissante matrone
Qui a répandu
Son lait vénéneux
Sur les champs ombreux,
Le chemin perdu…

Et sur la novice endormie
Au cœur du couvent fiévreux
Sa trouble magie.
San Calogero !
C’est le sirocco !
Vent de canicule
Qui souffle et circule
Sur les toits, les cours.
À notre secours !
Sainte-Rosalia,
Venez ici-bas
Venez en ce lieu
Poser vos doigts bleus
Sur nos cœurs en feu !
En trois fois ou en une,
Délivrez nous du mal de lune !

Ce poème m’a été inspiré par le film « Chaos » des frères Taviani.

Nuit d’été de ma jeunesse

Toi, lune d’opale, lune de ma jeunesse
Qui éclairait de haut bois et prés odorants,
Et tes puissants parfums, ma nuit enchanteresse,
Et les chants de crapauds qui montaient des étangs,
« Où sont ces soirs perdus, chouettes et cris-cris,
L’odeur des foins coupés, les étoiles sans nombre,
La prière du soir, et les chauves-souris,
Et nos cœurs éperdus, et le silence, et l’ombre… ? »