Flipote

Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes. Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres sujets.

Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur — mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.


Toile représentant Françoise Giojuzza, alias Flipote. On peut lirela signature de l’auteur : Jean Dreux, 1976

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.

Jour de marché à Abidjan

Juste une toute petite marrade (c’est poétique aussi !)
La perle involontaire, je crois, d’un petit gars ivoirien au cours moyen à l’école proche de chez moi, où j’ai une amie instit elle m’a raconté :
J’avais donné aux enfants de me pondre une page sur le thème du marché, dehors, chez eux. Un de mes jeunes ivoiriens, Aldebert, prié de lire à haute voix, commence, debout :
« La place était noi’e de monde »

Trop mignon !

Juste avant le débarquement

Début juin quarante quatre, les bombes de nos libérateurs ricains et anglais pleuvaient dru sur Orléans, les parents et grands parents s’installèrent à huit kilomètres de la ville à Combleux, un charmant village sur une boucle de la Loire. Et, bien sûr, je fus illico inscrite pour quatre semaines à l’école communale de l’endroit. Pour moi cette classe unique de cinq à quatorze ans, mixte en plus, constituait une nouveauté intéressante. La maîtresse me mit tout au fond, à côté d’un grand gars de treize ans, la boule à zéro, pataud et rigolard. Un autre grand, juste derrière, se pencha sur l’épaule de mon voisin de table : « quoi donc qu’c’est que c’te Parigote ? » Quel accueil ! bon ! je m’habitue peu à peu au quotidien d’une classe à quatre niveaux. Mon voisin n’était pas causant, pas vraiment passionné, il élevait des chenilles et des hannetons dans sa case et dessinait beaucoup sur son cahier de brouillon. La maîtresse lui confie souvent des besognes de confiance à l’extérieur de la classe : fendre ses bûches ou nourrir ses poules et ses lapins. Il ne me montrait jamais ses dessins ; et même il les terminait en les cachant avec sa main. Un jour, à l’improviste, il me dit : « tiens, regarde c’est le mari de la maîtresse ! » en me fourrant brusquement son cahier sous les yeux. J’y vis une silhouette de bonhomme, debout, de profil, légèrement cambré en arrière ; au niveau de la braguette : un zizi monstrueux, long et surtout tirebouchonné comme une queue de cochon en plein milieu de la classe sage et silencieuse. J’éclatai de rire, d’un rire prolongé, bruyant, inextinguible. La maîtresse, indignée, me tira par l’oreille sans me poser de questions et me traîna à côté de son bureau, debout au piquet, et m’y laissa jusqu’à l’heure de la cloche de midi. L’autre affreux, là-bas au fond, avait prestement fait disparaître son si beau dessin, et il exhibait un visage d’ange. Il n’y a pas de justice.

Juste un quatrain !

Quatrain donné par la nuit,
Sans travail, sans effort !

Me vint un rêve fragile
Dessus la mer écumeuse
Avec Monsieur d’Bougainville
Invitée sur sa « Boudeuse »

Voilà c’est tout, je ne sais pas la suite.

J’ai croisé

À François, mon vieux compagnon pour nos soixante ans de vie commune. (Nous nous sommes connus très très jeunes.)

J’ai croisé dans la clairière,
Qui r’venaient d’chercher du bois,
L’Enfant Jésus et sa mère
Au lieu-dit la « Combe-au-Roy ».

Ça se passait en Pologne,
Un beau jour d’entre les jours ;
À moins qu’ce n’ fût en Sologne
Du côté d’la Grotte-aux-Ours.

Je délirais, il y a peu !
C’était bien en terre de France.
Bois d’épine fait bon feu,
C’était au temps de l’enfance.

L’Enfant Jésus et sa mère
Ont fait un grand feu flambant
Tous deux attendaient le Père
Tous deux vêtus de lin blanc.

Marie chantonnait très doux.
Couronné de sept oiseaux,
Dans les flammes du feu roux,
L’Enfant jetait des copeaux.

Depuis, je garde en mémoire
Le regard de l’Enfant-Dieu
Et Marie, voilée de gloire
Et son beau geste d’adieu.

J’ai perdu mes lunettes

Je ne vois plus les choses nettes :
Nom de Zeus ! j’ai perdu mes lunettes !
Depuis c’matin, j’les cherche partout :
Dans le frigo, dans le faitout,
Je les cherche dans les pivoines,
J’engueule le grand Saint Antoine,
Le Saint Antoine de Padoue
Celui qui fait retrouver tout !
Je l’traite de traitr’, de saligaud,
J’lui donn’ tout’ sortes de noms d’oiseaux
T’es qu’un feignant, un gros salaud,
« Eh ! va donc, dépendeur d’andouilles
Remue toi donc, mon grand niquedouille ! »

J’avanc’ dans un brouillard odieux,
Un flou brumeux ; marécageux,
Pour cuisiner, j’vais aux toilettes,
Depuis qu’je n’ai plus mes lunettes,
Et pour retrouver mes griottes,
Je vais les chercher dans les chiottes !
Je prend l’facteur pour un zonard
Et pour un peu, j’lui rentr’ dans l’lard
Pour m’étrangler j’va prendre un’ corde,
Si vous n’me faites miséricorde
Grand Saint Antoine, soyez gentil !
Je r’tire tout c’que j’vous ai dit !

J’aime… aussi à ras terre

Autre façon d’aimer

J’aime beaucoup les chevaux d’bois
La bonn’ femm’ ne veut pas que j’monte !
J’vais m’servir d’ma gueul’ de putois
A s’ra gênée, jusqu’à la honte

Médianoche entre filles
J’aime les filles qui aiment rire
Beaucoup d’ail dans les escargots
Les soles et la poêle à frire
Les « rochers » à la noix d’coco !

Petits foies de canard confits
Autour d’une patate douce
Font pétiller le vin, la vie,
Plus qu’une sieste sur la mousse

Les lasagnes aux fruits de mer
Avec un « soave » de Vérone
Ne font pas un gala amer
Surtout suivies de provolone

Porco Giudà ! Babbo Buono
J’allais oublier les rougets
Bien arrosés de Lambrusco
Mais, ultra frais, per piacere !

Et pour couronner ce plaisir,
Torta gelata pour finir !

J’aurais bien voulu

J’aurais bien voulu marcher sur la lune,
À chacun d’mes pas fair’ la sauterelle,
En bondissant, cool, comm’ chacun, chacune
Étant venue là, sur l’astre plus belle

J’aurais tant voulu, émul’ d’Artabas
Passer beaucoup d’temps les fess’ sur un ch’val
Dev’nir sur son dos la grand’ as des as,
Joie pour mon égo, joie plus viv’ que l’bal

Ne pas voir partir la fête foraine
À la fin de Juin, la mort du printemps,
Plus d’assiette au beurr’ ni roue souveraine,
Où l’on monte au ciel en crispant les dents

Et voir le Viet Nam, dont fus captivée,
Par les longs récits d’ma tante Amélie
Ah ! la baie d’Along, nos yeux fascinés
Que j’n’ai jamais vue, et n’verrai d’ma vie

Je n’verrai jamais les poissons vermeils
Circulant en bancs autour du corail
Et le soir venu, voir le vieux Soleil
Fermer les rayons d’son rouge éventail.

Oui mais, enfin c’était pas mal… « comme même ! »

J’hésite

Laquelle me trouble plus, au matin,
Là, entre deux splendeurs qu’elle m’agite ?
Deux trésors issus du doigt divin
Entre rose, et cétoine qui l’habite ?