Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle
écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières
années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait
découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes.
Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis
proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres
sujets.
Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un
nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de
supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur
— mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis
d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le
forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.
Une belle passiflore
Et puis la fleur de lupin,
Regarde ce que l’aurore
A ouvert dans le jardin…
Souvenirs, valsez dans l’ombre
La jeuness’, le bel été
Ont fait place à bien plus sombre :
Ne pleurons le temps passé…
Nous nous gardons en la mémoire
Baisers des jeunes années
Les folies près de la Loire
Ne pleurons le temps passé !
Voici pour orner la chambre
Lupin, jolie passiflore
Où, du printemps à Décembre
Et de la nuit à l’aurore
On peut voir, en réduction
Ce qu’endura en son temps
Yeschou, lors de sa Passion
Souvenons-nous-en, longtemps…
Comme le pommier fait des pommes,
Elle écrit des alexandrins,
Et près des rustres que nous sommes,
Ils fleurissent dans ses jardins,
« Gratias agimus tibi »,
Ma sublime poétesse,
Écris de l’aube à midi,
Ton grand cœur est plein de noblesse.
Ell’ qui n’a point d’ami
Pour lacer sa chemise,
Son triste cœur est gris
Comme nuit sur l’église.
Loin d’Paris et du Louvre,
Qu’un gars doux et sincère,
Passe et se la découvre
Ce p’tit cœur solitaire.
Licorne emportera
Sur son dos les amants,
La fille dans les bras
De son tendre galant
Ce court poème contient deux vers qui ne sont pas de moi.
Elle était si belle
La jeune Isabelle
Que mêm’ les oiseaux
En restaient berlauds
Perchés sur la branche
Où ils s’arrêtaient
Admirant la blanche
Enfant qui passait
Même la grenouille
Aux gros yeux dorés
Et aux pattes rouille
Se taisait, charmée
Autour d’la petite
Silence se fait
Chaque cœur palpite
Dans les bois, les prés
Instant de magie
Qu’on n’peut oublier
Douce et jeune amie
Qui sut nous charmer
En ce temps-là nos cœurs étaient bien partagés
Car y’avait le curé et y’avait la maîtresse !
On allait à l’école en traversant les blés
On allait à l’école, on allait à la messe…
Car y’avait le curé et y’avait la maîtresse
Et c’était un bonheur d’écrire au tableau noir
Puis on quittait l’école, on filait à confesse
Et c’était un bonheur de tenir l’encensoir.
On se régalait, secouant le torchon à craie
Ou chantant des cantiques, le mois de Marie.
On aimait tout autant réciter des « ave »
Qu’apprendre la grammaire et la géographie.
Y’avait dans le chemin qui menait à l’église
Le beau lilas fleuri et la rose trémière
Et y’avait Nicolas, Pierrot, Jeannette et Lise….
On avait devant nous notre vie toute entière.
Un jour suivait le jour et l’on en profitait,
Mais quand nous musardions dans tous les chemins creux,
Nous ne savions pas bien qu’un jour on grandirait
Savions-nous seulement que nous étions heureux ?
J’ai tourné la clé
Du fond du jardin
Maman a crié :
« Oh ! le sal’gamin »
Car voilà qu’Élise
La petite poule
A fait sa valise
Et ça la chamboule
La poulette grise
Loin sur le sentier !
Qui va vers l’église
Sous le châtaignier
Je n’ai pas le droit :
Je n’ai que cinq ans !
De courir au bois
En la ramenant
Nous n’aurons plus d’œufs
C’est un grand malheur !
Mamie a dit que
Elle, avec ma sœur
À la fin du jour
Elle nous ferait
Avec tout son cœur
De tout son amour
La galette au beurre
Hier, j’avais bien bêché
J’ai trouvé dans mon jardin
« N’en parlez pas : c’est péché ! »
Trouvaille sous mon sapin :
Une pauvre main coupée
Belle, fraîche, bien que morte
Une fleur juste fauchée
« Souffle, Vent, dessous ma porte ! »
Elle avait à l’annulaire
La belle bague d’argent
Là !, sous la clarté lunaire
Deux menues mains s’étreignant
Ceci est un triple copla(s), poème à l’espagnole, en principe anonyme et volatil comme graine ailée de pissenlit.
Je connais bien ce type de bague, qui représente ce symbole de l’amour éternel : deux mains minuscules étroitement liées au lieu d’une pierre, deux mains finement ciselées, unies l’une à l’autre, de production celte, à l’origine.
Ce poème est dédié à notre chère Louan.
Lola, Lola ! ma Lola
Mais qu’est-c’tu me racontes là ?
Qu’toi, à six heur’ du matin
T’promèn’ en fourreau d’satin
Place du Trocadéro
Dans la tire à Belmondo ?
Faudrait pas m’prendr’ pour un’ bille
Toi, ton p’tit cul qui frétille,
Et tes grolles à hauts talons
Comm’ si tu v’nais du salon
De c’t enfoiré d’Salomon
Ou d’ce gros plein d’sous d’Rothschild
Sous tes airs de Saint’ Mathilde !
N’me prends donc pas pour un nase
Tu viens pas d’l’usine à gaz
Faire des heures supplémentaires
Becaus’ ton budget précaire
Pour nourrir tes p’tits enfants
De steacks et de fromage blanc !
Ça ne prend pas, tu l’comprends bien
Faut pas m’prendr’ pour ton p’tit chien
Lui, qui gobe à tous les coups
Tes boniments à trois sous
Je n’suis pas con à ce point
Pas à ce point, blague dans l’coin !
Tu t’trouv’ras un autre conard
Pour t’offrir l’omelette au lard
Et les soirées au champagne
Et les châteaux en Espagne !
Bof, j’m’amusais…