Flipote

Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes. Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres sujets.

Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur — mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.


Toile représentant Françoise Giojuzza, alias Flipote. On peut lirela signature de l’auteur : Jean Dreux, 1976

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.

Le bel avenir

(Nouria, 16 ans)

Avant tout je déclare que par ce texte, je n’ai pas voulu stigmatiser les personnes arabes en tant que telles. J’ai chez elles de nombreux et excellents amis. Du reste, je parle d’un fait de culture et non de religion qui vaut aussi bien pour : la Sicile, le sud de l’Espagne, certaines zone de la Grèce et de la Turquie et même parfois Israël. Tout le cher bassin méditerranéen dont nous sommes aussi, gens de ma famille.
Mare nostrum, ave !

« Je suis la fille aînée d’une fratrie arabe,
J’ai nourri, j’ai torché petites et petits
J’ai subi les fureurs des frères et du « dabe »
Et jamais un sourire, et jamais un merci ! »

Merci, disait ma mère en prenant la torgnole,
Merci, ô mon époux, de n’être pire encore !
J’espère que Nouria tiendra aussi son rôle
C’est la perle, ma fille, un vrai petit trésor.

Elle sera heureuse : elle aura son cousin
Quarante ans, du bedon, et de grosses bacchantes
Et il est policier ! ce sera un chopin !
Les années de Nouria, qu’elles seront charmantes !

Histoire vraie, cette enfant dont j’ai changé le nom a été ma petite élève à l’école primaire. Heureux épilogue : elle a divorcé et est maintenant une épouse et une mère heureuse.

Qu’en France aussi, pays très chrétien ! et fille aînée de l’Église, on vit de ces unions jusqu’au 18ème siècle !
Pourtant Molière nous avait averti :
« Qu’il est difficile, parfois, d’être fidèle
À de certains maris, faits d’un certain modèle. »

Le bois presque oublié

N’est-ce-pas, n’est-ce-pas, mon cœur,
Que le chemin du bonheur
N’est pas facile à trouver
Dans le Bois presque oublié ?

Car à l’aube, un fin brouillard
Nous cache trop le passage
Et tous les oiseaux du bois
Se moquent de toi et moi.

Le matin, sous le soleil
Rend tout le coteau vermeil,
Hélas ! Voici que se lève
Un grand vent sur notre rêve…

Midi ! Le Soleil-horloge !
Mais ne puis en faire éloge :
Tant la torpeur du grand jour
Abat les feux de l’Amour !

Nuage-mélancolie :
Notre sieste est envahie
Dans la pénombre, à l’étage,
Où sommeille ton front sage…

Cinq heures ! le jour fatigué
De voir grandes turpitudes
Incline l’Astre lassé
Vers le soir que nul n’élude

Ah ! comme passe le temps !
Sur ce pays décadent
Où même roses sont lasses
D’embaumer sur nos terrasses.

Le bonheur à Paris

Le bonheur, il est passé
Sur la place des Pyrénées
Le bonheur pass’ par ici
Sous tous les ponts de Paris

Le bonheur est un lutin
Vole à la Chaussée d’Antin,
Et il joue à Peter Pan,
Dans la rue des Bons-enfants

Bonheur Bonheur, où es tu ?
Chapeau bleu, chapeau pointu ?
Bonheur bonheur, reviens donc
Au joli bois de Meudon !

Refrain :
Passe passe passera
Vive l’Amour, et les amants
Passe, passe passera,
L’Amour qui dure longtemps…

À courir le guilledou,
Le bonheur est dev’nu fou !
Le scélérat, le maroufle ! :
Il s’essouffle, il s’essouffle…

À la porte des lilas,
Le bonheur est un peu las :
Sur les trottoirs de Raspail,
Peut s’en faut qu’il ne défaille…

Son verre était presque plein
Du côté de Saint Germain,
En passant aux Invalides
Son grand verre est déjà vide !

Refrain

Viens donc Bonheur, je t’invite
Mais le bonheur passe vite,
Du Marais à la Cité,
Il est déjà fatigué.

Bonheur, Bonheur, je t’attends
Au joli Pré Catelan
Mon cœur cogne, mon cœur cogne
Le voilà au Bois de Boulogne !

Quand l’bonheur s’y est pointé
Il est arrivé masqué
En dessous, visage gris :
C’tait un pauvre travesti…

Il aime bien quand ça bouge,
Il grille tous les feux rouges
La police lui file le train
Jusqu’à la port’ de Pantin !

Impasse Saint-Barnabé
Le bonheur a chancelé
Arrivé à Palaiseau
L’est tombé dans le ruisseau…

C’est dans l’canal Saint-Martin
Que j’ai noyé mon chagrin
Mon destin était pourri
Comme il arrive à Paris…

Passe, passe passera
La grand’peine
Passe, passe, passera
La détresse restera…

Le bonheur du soir

Elle fane, elle a séché
La belle fleur de jeunesse
Elle passe, elle a passé
La jolie saison d’aimer.

Rangeons nos beaux escarpins
Et nos ceintures dorées
Tout le cercle des copains
Réduit avec les années.

Mais sachons prendre nos aises
Sans cultiver les regrets
Sortons-nous deux ou trois chaises
Et puis quelques tabourets.

Et quand le soleil décline,
Assis à califourchon
Nous boirons une chopine
Sur le seuil de la maison.

Le cercle des vents

Pest’ ! Pest’ !
Car le voilà, le vent d’est
Balayant le sol agrest’ Depuis Vienne jusqu’à Brest !
Fuyons et sans faire un geste

Zest ! zest ! zest !
Zeste d’peur, pour le vent ouest !
Qui emporte dans sa vest’ Tous les miasmes du Far-west
Odeurs chavirant la teste

Oh ! le Sort !
Arrive le vent du nord
Qui nous congèle et nous mord
Sans répit nous fait du tort
« Ohé ! » d’babord et tribord !

Calatayud !
Il remont’ le vent du sud
Frôlant marais et paluds
Les océans, les gens prudes
Et sur tous les cœurs trop rudes

Toi, puissante tramontane
Épuisant les petits ânes
Charriant pomm’z et bananes
Trottants au marché d’Aubagne
Quitte la campagne !

Toi, sauvage sirocco
Qui te répands à grands flots
Des mains de St Antonio
Sur tous les plus beaux coteaux
Vire ton dos !

Calme toi !
Toi le chaud « foen » des bois
Toi qui ne suit point de lois
Des républiqu’ ni des rois
Toujours nous mets aux abois
Endors-toi

Toi, va-t-en, va-t-en !
Disparais, le vent mauvais
Rempli de poissons volants
De netsukées japonnais
De chagrins désespérants
Et r’viens jamais

Allez dormir, tous les vents !
Pour quelques précieux instants
R’descendant par les volcans
Dormez sous terre, les vents
Turbulents
« Couchés ! les vents »

Que ne passe que l’Esprit
De Celui qui nous guérit !

Et toi, beau tapis volant
Redonne-moi mes quinze ans

Le cochon qui sommeille

Ah ! Connaissez vous le cochon qui sommeille ?
C’est un cochon très doux, très, très doux, voyez-vous !
Il a des soies brillant’ un joli teint vermeil
Et un œil caressant, ce cochon de chez nous

Quand je dis un cochon c’est bien toute une race,
Chaque homme du pays, hérit’ d’un porcelet,
Qui s’installe en son corps et jamais ne se lasse
De vivre bien au chaud, dans ce logis parfait

C’est un hôte agréable, aisé à contenter,
Du logeur, il ne mang’ tout au plus que les restes
Il ne fait aucun bruit, il aim’ se reposer,
Adorant, ce trésor par dessus tout, la sieste

Mais voilà autre chose : avec testostérone
Affluant de partout, becaus’ la puberté
Alors, brusquement, lui secouant les neurones
Voilà qu’il se réveill’, l’homme en est harcelé !

Et pour certains, d’ailleurs, ils manquent bien de chance :
Car cette pauvre bête est parfois insomniaque
Pauvre petit goret, offert dès la naissance
Quelques-uns, plus que d’autres, devienn’ maniaques

Torturant leur logeur, sans cesse et sans pitié

DSK, il en fit l’expérience avérée

Le corsage de Liouba

J’ai eu l’impulsion d’écrire, après le fait divers des immigrants clandestins en perdition en mer et allaités deux jours par une jeune mère, ce « chant de Liouba », et aussi après de passionnantes recherches au sujet des déesses mères du Proche Orient comme Istar, et au départ une sainte bretonne aux trois seins : Sainte Gwenn !

De la douce Liouba, la belle
Vous tous écoutez bien le chant :
Je voudrais, je voudrais, dit-elle
Un grand corsage de lin blanc
Et puis dedans, trente six mamelles
À offrir à tous les enfants
Pour fair’ jaillir suaves fontaines
Un lait fleurant la marjolaine
Anis, basilic, origan
Pour allaiter ceux de la terre
Ceux qui n’ont pas de tendre mère
Qui les cajole à chaque instant
Qui n’ont point de chaleureux père
Ceux que la vie jette par terre
Et les maltraite à tous les vents
Ceux qui tremblott’ sans vêtement
Et vont de misère en misère

Pour ce, voudrais dans mon corsage
Tenir au moins trente six mamelles
Surtout pour ceux du premier âge
Leur donnant vie chaqu’ jour de l’an
Puis les remettre en balancelles
Qu’ils s’assoupissent, doucement
Et qu’ils s’endorment, cœurs contents
Leurs petits pouces, entre leurs dents (les premières)

Le coucou est un voyou (pour enfants)

Le coucou qui chante au bois
On n’le voit, on n’le voit guère
Le coucou qui chante au bois
On n’le voit, on n’le voit pas.

C’est un fameux sacripant :
On n’le voit, on n’le voit guère
Un pas-grand-chose, un brigand
On n’le voit, on n’le voit pas.

Trop feignant pour faire un nid
Il va pondre, il va pondre
Pas fichu d’élever des p’tits
Il pond dans le nid d’autrui.

C’est un curieux paroissien
Quelle hont’ quelle vergogne !
C’est un drôl’ de citoyen
Qui n’distingue le mal du bien.

Découragé de naissance,
Il préfèr’ qu’les autr’ travaillent,
Découragé de naissance,
Il cultiv’ sa nonchalance.

Paresseux comm’ limace
Il aim’ mieux qu’les autr’ fatiguent
I’s’prélasse, il se délasse
Ça, c’est inscrit dans sa race.

J’en suis mal à l’ais’ pour lui
J’en transpire, j’en transpire
J’en suis mal à l’ais’ pour lui
J’en transpire et j’en rougis.

Y’a qu’lui qu’est à l’aise comm’ tout
Il sifflote, il sifflote
Au fond du bois ce voyou
Sur deux not’ se fout de nous.

C’est c’que m’a dit le hibou,
La chouette et le caribou
Que j’ai croisés tout à l’heure
Oui ! il se moque de tout !

Mais que peut-il bien y faire ?
Sa nature, elle est comm’ ca
À quoi bon crier et blaire :
Sa pente le mène là.

Fair’ parasit’, ce n’est pas beau
Que voulez-vous qu’il y fasse ?
Fair’ parasit’, ce n’est pas beau
Mais si c’est écrit Là-Haut ?

Il fait comme certains hommes :
Certains homm’ ont ce défaut.
Il est bien ce que nous sommes
S’il y en a, c’est qu’il en faut.