Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle
écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières
années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait
découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes.
Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis
proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres
sujets.
Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un
nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de
supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur
— mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis
d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le
forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.
J’ai des sentiments étranges
Pour vous, mon tendre passant
C’est un peu le vin des anges
Un peu la fleur de l’instant.
Entre amour et amitié
Ce joli penchant balance
Comme à la fin de l’été
L’soleil tir’ sa révérence
C’est l’heure entre loup et chien
Et ce bel amour dans l’œuf
Aura, comprenez-le bien
Chance de rester tout neuf
Serait-il bien raisonnable
De pousser la chose avant ?
La romance reste aimable
Si l’ami devient l’amant
L’amour vire rose ou gris
De quell’ couleur est-il donc ?
Car son reflet change et fuit
Comm’ sur gorge de pigeon
Contentez-vous donc mon cher
Des « peut-être », des non-dits
Voici qu’avance l’hiver
Et vous n’êtes pas d’ici
Vous reprendrez votre route
Lorsque viendra le dégel,
Vous repartirez sans doute
Nous nous reverrons au Ciel.
Qui a dit « Il n’y a que les amours non accomplis qui durent toujours » ?
Anna, te souviens-tu des chagrins d’autrefois
Où sont passées, ma mie, ton histoire et la mienne
Et les fraîches dentelles et les premiers émois
Au grand jardin fleuri de belle rose ancienne
Quand le concert s’achève, où s’en va la romance ?
Où vont les souvenirs quand ils sont oubliés ?
Les images sépia d’une lointaine France
Et les serments trahis et les destins blessés
Puis le Temps a passé, il nous vint des enfants !
De bien pires orages nous ont ravagées !
Nous avons oublié tous nos premiers printemps
Et nous avons vieilli, sages et résignées
Nous avons traversé et la guerre et la vie
Nous les avons jugés petits et dérisoires
Ces chagrins de jadis ! comme une maladie !
Pourquoi faut-il qu’ils soient encore dans nos mémoires ?
Mais nous retrouverons aux archives du Ciel
Ce qui nous fit pleurer et ce qu’on oublia
Puisque rien ne se perd au Parc des éternels
Et que le grain défait, tantôt refleurira
« Ô ma mère, ô ma mère,
J’ai commis un grand péché :
J’ai perdu ma volonté
J’ai suivi le colporteur
Pour un r’gard qu’il m’a jeté
J’y ai livré mon honneur,
Je suis roug’ rien qu’d’y penser !
Ô ma mère, ô ma mère
Comment laver ce péché ? »
« Ô ma fille, ô ma fille
Va-t-en vite à la fontaine,
À la fontaine sacrée
Là se finira ta peine
Ton péché sera lavé
Va ma fill’, va ma fille,
Dans le flot pur et nacré
Ta faute de jeune fille
À jamais sera noyée. »
« Ô ma mère, ô ma mère,
À la fontain’, j’y ai été
À genoux, échevelée
J’ai pleuré sur mon péché
En disant un cent d’« Ave »
Ô ma mère, pour mon malheur,
Dans l’eau clair’ de la fontaine :
Le visag’ du colporteur !
Qu’elle est donc lourde ma peine ! »
« Ô ma fille, ô ma fille
Au carr’four des Sept dormants,
Dans le feu de la Saint-Jean
Jette-moi tout ton souci
Jette-moi ta faute aussi
Car le feu de la Saint-Jean
Toute chose purifie
Grâce à la Vierge Marie
Demand’-lui aussi l’oubli. »
« Ô ma mère, ô ma mère
Mon péché, il m’a quitté
Tant de larmes l’ont noyé
J’ai retrouvé mon honneur.
Mais comment puis-je oublier
Celui à qui j’l’ai donné
Et qu’en a eu la primeur,
Ce passant d’l’hiver passé
Ce passant, ce colporteur… »
Où donc est l’eau bonne à boire
L’eau du puits le plus profond
Où est la cavale noire,
Celle avec l’étoile au front ?
L’amour est bien illusoire
Joue des tours à sa façon !
Et j’en garde la mémoire
Où est le contre-poison ?
Refrain :
Chevaux noirs, chevaux gris
Beaux, fiers chevaux de race
Beaux chevaux de la nuit
La mort est sur nos traces
Oui, la mort nous poursuit
Chevaux noirs, chevaux gris
Beaux chevaux de la nuit
Le feu flambe la nuit noire
Tout autour de la maison
Et tous les loups s’en vont boire
À l’étang de trahison
Deuil éclatant de la gloire,
L’amour n’est qu’un histrion
Il s’en va dans la passoire
Du Temps où meurt la passion.
Que souffle le vent de Loire !
Doux amer, miel-et-citron
C’est un vin cruel à boire
C’est une étrange potion.
Le sang s’écoule au ciboire
En cette fin de saison,
Tandis qu’le soleil en gloire
Se défait à l’horizon.
Refrain
Tache d’encre à l’écritoire !
Plus d’honneur sur le blason
I’n’y a là rien qu’une histoire
Pour un tout petit garçon
Là se termine la foire
La grand’ foire à l’illusion
C’que j’en dis, c’est pour mémoire
Que nul ne m’fass’ la leçon !
Refrain
À chanter à tue-tête avec niaque !
Pour mon ami Ulysse, qui n’est pourtant pas gourmand…
Lorsque j’étais enfant, il n’y avait pas de chagrin qui ne fut pas directement pulvérisé par quelques cuillères de confiture. C’est un de mes poèmes récents en deuxième mouture car un peu bâclé la première fois.
Où vas-tu ainsi, ma belle Monette ?
Vas-tu à la foire, à Saint Amédée ?
Y vendre de tes œufs, le lait de ta biquette ?
Et ta confiture à l’amende mondée,
Où tu as mêlé avec à propos
Les murs de ta ronc’, tellement fruitière,
Le sucre de canne, un peu d’abricot,
Les éclats d’amande à la pâtissière
Car ta main si blanch’, comme il faut conduit
Et tourne si bien dans la grand’ marmite
Qu’un petit miracle de tes doigts surgit
Cette confiture qui, tous nous invite
À la gourmandis’, beau pêché véniel
Tandis que tes courb’ agréables à voir,
Ton bel œil brillant et ton teint vermeil,
Sèment dans ma tête un fragile espoir
Mais si tu m’agrées pour ton fiancé,
Tu n’auras jamais, jamais plus besoin
D’aller sur place à Saint Amédée
La vendre à plein vent aux dames du coin !
Nous la mangerons le soir en famille
Avec les copains et monsieur le curé,
Nos petits garçons, nos petites filles,
Mon parrain si drôle, et ta vieill’ mémé !
La postière ? où est sa rose ?
Celle-là, dès son jeune âge
C’est une « pas grand chose »
A bradé son pucelage
C’est une chaude animale !
Et qui n’a pas froid aux yeux
Nuit et jour, elle régale
Tous les gars, jeunes ou vieux
La baronne, prude et sage
Se conduit, mine de rien
Quand se trouve en solitude,
Guère mieux qu’une putain
Elle sait mettre à profit
Les absences du baron
Qui tient audace et grand vit
Lui masse le panneton
Notoirement, la crémière
Est moyennement honnête
Loin du comptoir ou derrière
Elle se paye notre tête
Appuyant sur la balance
Pour peser le quart de beurre
Vend lait mouillé crème rance
Tout le jour et à toute heure
Après deux mois au Trastevere*,
J’aime revenir à Sarlat
Adieu l’Italie de Grand Père
Bonjour, France de Bon-Papa !
Que j’aime Rome et sa fontaine !
Et les déesses du Bernin !
Mais aussi me plaît la Touraine
Et mon doux marais poitevin
« Solleone** » a Taormina
Tu nous as tannés et brûlés,
Viv’ la fraîcheur du Jura,
Le vent des monts du Dauphiné
Adieu le « Soave » de Vérone
Adieu le « Lacryma Christi »
Vive le vin de la Garonne
Beaujolais et jus de pays
Dansons bourrées et tarentelles
Gaiement suivons les processions
D’Sant’ Agata et Sainte Estelle,
San Gennaro, Saint Émilion.
Ainsi mon vieux cœur se partage
Entre deux grand’mères voisines.
Cœurs de tendresse et doux visages
De ces deux belles sœurs latines.
* Quartier populaire de Rome, se prononce « Trastévéré »
** Littéralement « soleil lion », celui qui vous tape la tête entre midi et deux heures… et favorise la sieste. On va l’écrire en napolitain : O pisolino.