Flipote

Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes. Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres sujets.

Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur — mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.


Toile représentant Françoise Giojuzza, alias Flipote. On peut lirela signature de l’auteur : Jean Dreux, 1976

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.

Invitation

Venez, les amis,
Venez je vous prie
Sur les coups de midi
Manger sans chichis,
Dîner de prestige :
Je veux et j’exige
Tout ce qui aguiche
Le melon et la quiche
À une heure précise ;
Daube bien arrosée
En quatre heur’ mitonnée
Clafoutis de cerise
Et puis crumble aux pommes
Pour les femmes et es hommes
Sur la table, bien mise
Napp’ fraîche amidonnée
Assiettes fleuries
Poivre et sel à côté
Et moutardes aussi
Et des verr’ rutilants
De cristal transparent
Y aura du Silvaner
Et mêm’ du traminer
Et pour la fin du r’pas
Un bon petit caouia

Et pourquoi pas du reste
Un gai p’tit refrain leste

Y a pas de mal à ça du moins je ne crois pas
Et l’curé n’y s’ra pas

Invitation

À Bertrand

Quoi donc tu dis qu’Teddy t’a dit ? M’a dit de dire au doux Doddy, de v’nir dans ta drôl’de deudeuche, quand donc qu’il t’a dit d’s’y déplacer ; dis-moi, dis donc ? Mado m’a dit : mardi midi.

Jalousies, désespoirs et vodka

Ma Jeanne, elle aime Lucas :
Peu à peu, j’ai compris ça !
Et hop ! une vodka !

La Lison aime Benoît
Moi qui la voulais pour moi !
Prosit ! Le roi boit
Et hop ! Et hop lala !
Place-toi bien petit,
Y aura foul’, ce soir
Arrosons, arrosons la,
La dernière galett’ du roi
Sous un flot de quinquina*.

* « quinquina » de déménageur, c’est à dire du gros vin rouge. Ce n’est pas malin de réagir ainsi, en se poivrant le museau : il y a tant d’autres belles, et gentilles et marrantes !

Japonaiserie française

Une branche fleurie s’agite à la fenêtre
Le feu crépite un peu, il se meurt plus ou moins
Le temps se fait plus frais, quelle heure peut-il être ?
J’entoure mon enfant de tendresse et de soin

Déjà le chat s’étire et le poisson s’endort
Aux douze de minuit une horloge a sonné
La reine des crapauds nous a jeté un sort
Mon frère arrive enfin dans son bateau doré

Jardin d’amour

Dans ton charmant jardin clos
Croît le mai, la passerose
J’y ai perdu le repos
Mais pour l’avouer, je n’ose

J’aime mieux ne rien te dire
J’aime mieux te regarder
J’aurais trop peur de ton rire,
De voir mon rêve filer

Tu m’as ébloui, voisine
Depuis ta dixième année
Je te voudrais pour cousine
Pour jumelle, pour fiancée

Aussi je marche, en silence
A trois pas à tes côtés
Dans ce vieux jardin de France
Où vient l’iris et l’œillet

Chantez, pinson, rouge gorge
Pour le nigaud que voilà
Car ils restent dans ma gorge
Ces mots que je dis tout bas

Quand dormirons toi et moi
Sous la terre du village
Se souviendront de l’émoi
De mon cœur timide et sage

Les herbes de ton jardin
Qui sauront le murmurer
Dans la rosée du matin
À l’ombre du vieux pommier

Ce que j’endure de pire
Ils sauront le raconter
Les vents iront le redire
Aux plus lointains amandiers

Car un poète l’a dit :
Lorsqu’en a passé le temps
Les mots d’amour jamais dits
Sont chuchotés au printemps

Par lilas, roses trémières
Graminées des bois dormants
Et ronciers nourris en terre
Des corps des pauvres amants

Je hais la souffrance

Au cher poète et ami JB qui porte la mème croix

Nous portons tous des cicatrices
Nous avons tous des bleus à l’âme
La douleur s’rait elle salvatrice ?
Je ne peux l’accepter, Madame !

Douce Madone du Paradis
N’as-tu pas vraiment trop souffert
N’as-tu pas beaucoup trop pâti
Avec ton pauvre cœur ouvert

Dans la joie de l’éternité,
Ce cœur souffrant va-t-il guérir ?
Je n’en crois rien, reste caché
L’insoutenable souvenir !

Qui pourrait effacer cela ?
Faire que tout cela ne fut
Dissoudre cette douleur là
Faire que tout fut résolu !

J’ai vu mon gars déjà treize ans !
Rongé d’un implacable mal
Errer mon doux mort-vivant
Dans les couloirs de l’hôpital

Méritait-il enfin la somme de souffrances,
Qui, durant six longs mois, s’abattit sur lui
Nous ne comprenons pas, Seigneur de Bienveillance
Le secret de tes voies et l’ombre de ta Nuit !

Et bien qu’il eut toujours un solide courage
S’en allant consoler même les infirmières
Il fit chemin de croix, sans révolte ni rage
Déclina, souriant, jusqu’aux heures dernières

Ayant fait, en sa vie, mille excès dommageables
Entraîné par un cœur trop faible et trop anxieux
Ne dites pas ô Dieu, que vous furent agréables
Larmes de jeune prince à l’heure des adieux.

Je me délivre

Crac crac coquecigrue
J’arrive au bout de la rue !

Tu m’énerves
Tu m’agaces
Tu m’fais faire
La grimace !

Jean Jean Jean !
La bouteill’ dans l’cul !
Si tu la casses
Tu seras battu

À l’école de la commune
Y en a une, y en a une,
Plus nigaude que la lune
Si vous saviez l’importune !

Ell’ me brise, ell’ me gave
Salsifis, radis, chou-rave !
Tous les jours les mêm’s âneries
Ah ! c’qu’ell’ me pourrit la vie !

Au lieu d’dir’ ell’ m’fait chier
C’qui est loin d’êtr’ distingué
J’vais vous dir’ bien à mon aise
Les quatr’ vers de Sœur Thérèse

Ça date de son enfance
Au collège Sainte Constance
Et ça mettait en furie
Ses parents et sa mamie

Amen amen !
Ma culotte est pleine
Et ça dégouline
Jusqu’à mes bottines

Je me retire

Ce poème que j’imprime de nuit, grâce à des lunettes grossissantes et lumineuses qu’un ami m’a offertes, n’a strictement aucun contenu autobiographique.

« Vous savez l’art des mots, faits pour désespérer »
Ne vous attardez pas, mes volets sont fermés !

Doucement, je me hâte, en prenant bien bien soin
D’oublier les douceurs que la vie sait offrir
Adieu, l’odeur des champs, adieu l’odeur du foin
Les charmes de nos prés même, me font souffrir

Et je vais emprunter quelque chemin bien rude
Espérant m’enfoncer, peu à peu dans la nuit
Pour m’évader, plus loin, en dure solitude
Oubliant le soleil, les sentiers mal fleuris