Flipote

Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes. Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres sujets.

Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur — mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.


Toile représentant Françoise Giojuzza, alias Flipote. On peut lire\nla signature de l’auteur\u00a0: Jean Dreux, 1976

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.

Vacances virtuelles

J’m’en irai à Montréal,
À cheval,
Sur celui qui m’fut donné
Par un’ belle nuit d’été,
C’est un bel appaloosa,
Rien qu’ça !
Offert par ma Zénobie,
Mon amie

Puis j’irai à Toronto,
Dans la vieille torpédo
De mon arrièr’ grand papa,
Qui n’aurait jamais cru ça
(C’est tordant !)
D’son vivant !

J’m’envole à Rio d’Janeire,
Par les airs,
Pour y danser la samba,
De là-bas,
Pas avec un air sévère,
Non mais le nombril à l’air !
Sans foutaise,
Bien à l’aise !
Je m’l’étais promis vraiment
Bien longtemps,

S’rafraîchir ? vite au pôle nord !
En hors bord !
Parait qu’ça s’conduit comm’ ça !
D’un seul doigt
Là-bas sur la mer étale,
À moi l’auror’ boréale !
Je ne peux énumérer
Mes projets !
Au retour, j’s’rai fatiguée !
C’est pas grav’, j’suis retraitée…

Vague, le songe

Je ne suis pas aussi triste, c’est de la littérature d’un instant « flou »

Vague ; le songe,
Danse mon rêve
Sous les étoiles,
Navire à voiles,
S’en est allé
En Voie lactée
Le char chemine
Là, sur le toit
En bottines
De soie
C’est le silence ;
Mon cœur balance
Entre la joie,
Entre l’effroi
Mon cœur, il ploie
Sous un grand poids
Sous un tourment
Le vent des bois
Où l’on entend
Des cris, parfois,
Des cris troublants
Des cris étranges
Venus des anges
Hors la loi
Ce vent gémit,
Ce vent maudit
Vent de l’oubli
Mon dur souci

Vengeance imbécile

Vers libres

Comm’ chantait la môm’ Piaf,
Quand elle était au taf :
« Non ! rien de rien
Non ! je ne regrette rien »

Oui mais moi je regrette une chose !
D’n’avoir pas demandé
Dommages et intérêts
Pas un bouquet de roses
Un bouquet de billets

Au chirurgien nul à chier
Qui m’a mal opéré
D’un simple « hallus valgus »
Se plantant tant et plus
Et pour finir le tout
Du tout au tout, rata son coup !

Me laissant pour la vie, ce vieil,
Imbécile, le plus gros orteil
Virant à l’angle droit
M’interdisant, c’maladroit
La chaussure du pied droit !

Et comment j’me débrouille ?
Solution ? j’suis bredouille !
Alors, au cutter
Je découp’ chaqu’ chaussure
Je découp’ mon soulier
Et puis je vous assure,
Que j’y vais de bon cœur
Pour laisser un passage
À cet orteil sauvage
Ce gros pouce en voyage
Et comme il est bien certain :
J’porte boubou africain
Pour cacher les dégâts
De c’fameux galapiat,

Pour passer ma colère
Quotidienn’ journalière
C’tte putain de galère
Oui oui pour me venger,
Je mijote une idée !

Terrifier les populations
Avec c’tte belle invention
Placer là, sur ce pouce
Tissu de couleur rousse
Pour le dissimuler
Aux regards horrifiés
Et cacher là-dessous la dedans
Un’ patt’ de poulet blanc
Et parfois
Oui ma foi ! l’exhiber… négligemment
Et fixer là-dedans

Venu ainsi

Je n’irai plus flâner du côté des fontaines
Ni jouer de la flûte, les pieds au frais dans l’eau
Ni danser avec vous, les vilains, les vilaines,
Au cœur du noir sabbat, terrifiant, mais si beau

Plus ne m’envolerai dans la fraîcheur des nues
Ce temps là est fini, et nous n’y pouvons rien
Nous n’irons plus en bande à l’appel de nos rues
Faudra juste, dormir, cela, on le sait bien.

Mais pourquoi, mais pourquoi, de nuit écrire cela ?
Trouver un peu de paix, sans doute, c’est pour ça.

Venu par la fenêtre

Dans l’esprit du cantique des cantiques

Petite fille,
Petite fée,
Petite aiguille,
Rose empourprée

Petite infante,
Étang gelé,
Douce espérance
De l’année

Printemps précoce,
À Lattaquié,
Roule ta bosse,
Beau cavalier

Gare au molosse
Aux douze pieds,
Fée Carabosse,
Part en fumée !

C’est jour de noce,
Vers Césarée,
Cent coups d’fusil
Pour l’étranger

La nuit s’répand
Et coule en miel
Noir, sur les champs,
Luciol’ au ciel

Ton chef si doux,
Plein d’escarbilles,
Mi brun, mi roux,
Jusqu’aux chevilles

De soie mouillée
Ce soir t’habille
Dedans ta couche
De mariée

J’ai vu passer,
Rose empourprée,
Si bien parée,
Jeune épousée

Rose d’amour,
Sur jument blanche,
Quatorzième jour !
Lune s’épanche

Sur le pays
De sa naissance
Viens le chéri,
Mon espérance,

Arrive ici,
Bel étranger
Et me conduis
Dans ton logis,

Car tous les miens
Te veulent bien
Sur haquenée
Toute harnachée,

Arrive ici,
Beau cavalier
Nuit resplendit
Sur le hallier,

Allez ! tu entres
N’hésite pas !
Et mon doux ventre
Sera pour toi

T’attend mon ventre
Tout embrasé
Depuis longtemps
Moi, je t’attends

Allez allez,
Tous les amis !
Tirez-moi
Vos coups de fusil

Car c’est joie
Dans tout le pays

Venue au monde

Éblouissement charmé, et bouillon de souffrances
Mais que venons-nous voir, sans l’avoir demandé ?
Mais que venons-nous faire en ces désespérances,
Dans ce monde splendide et toujours menacé ?

Vers improbables

Ce n’est qu’une petite chaîne de mots qui ont réussi à enfoncer ma porte car ils veulent vivre, ce n’était que des petits « personnages » en quête d’auteur, quoi qu’il en soit, voilà.

À la fin de la fête
Tout au cœur de la rose
Le temps, le Temps s’arrête
S’arrête et se repose
Leur chant, c’est celui des fées
Ils ont fui, tous les dragons
Pavane, mains enchaînées
Les filles avec les garçons

Villanelle à l’ancienne

À Fabre d’Églantine et à tous les galants poètes de jadis

Chevrière, ma beauté
Laisse donc un peu tes chèvres
Ce beau jour est achevé
Fais-moi cadeau de tes lèvres.

Tes petites socques claquent
Au sentier du Bois Chenu :
Les minutes nous arnaquent
Du bonheur qui nous est dû.

Mène-moi vite à l’abri
Ta chère tribu bêlante
Et sans l’ombre d’un souci
Ne me sois plus qu’une amante.

Emportons au Bois-que-j’aime
Un plein panier de fruits mûrs
Des fromages à la crème
Un poulet et des œufs durs.

Là, nous ferons la dînette
Sans nulle cérémonie
Avant d’aller, ma brunette
Faire la sieste jolie.

Ton ventre rond et moelleux
Me fera mol oreiller
Après les jeux amoureux
Lorsque nous serons lassés.

Je baiserai ta menotte
Et ton joli pied dodu
Tandis que chouette et hulotte
Chasseront au Bois-Perdu

Tes chèvres seront à l’aise
Leurs petits biquions aussi
Tandis qu’au Bois de Saint-Blaise
Nous serons en paradis.