Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle
écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières
années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait
découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes.
Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis
proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres
sujets.
Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un
nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de
supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur
— mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis
d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le
forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.
Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.
Les rêves, les vrais, ceux du sommeil dit paradoxal, ne sont-ils pas des messages si déroutant parfois, que comprenez vous dans ceux de Flipote et de son vieil amoureux ? Il y a deux jours, j’arrive dans sa chambre à sept heures avec le cappuccino, la batterie de médicaments, je réveille l’homme avec précautions, il s’ébroue en riant : « j’étais en haut d’une très grande tour métallique, amochée, branlante en train d’essayer de la rafistoler, devine avec qui pour me seconder ? avec Chirac ! Nul nul nul, il ne savait rien faire, s’y prenait comme un manche, je suis bien content que tu m’aies délivré de ça ! » Bon ! Et cette nuit voilà pour moi comme souvent dans mes rêves, je suis jeune encore et à l’école, dans ma classe de cours élémentaire on fait des soustractions, je me penche dur l’épaule d’un gamin qui pleurniche, en échec à cause de sa soustraction, alors je lui dis ces paroles stupéfiantes : « Mais c’est bien sûr, nigaud ! Pas étonnant que tu n’y arrives pas ! Regarde, ta chaussure est si étroite que tu ne peux pas la retirer, elle te serre et tu ne peux pas voir le code qui est dedans pour faire ta soustraction, allons ne pleure donc plus, ce n’est pas grave, une autre fois, mets des chaussures moins serrées. Avez-vous la clef, vous autres ?
Bisous circulaires et pardon pour mes élucubrations.
Quand nous quitterons notre rive
Qu’on sortira de Saint Cado,
Grands coups d’tatanes, dans leurs gencives !
Peut-être même des coups d’couteaux !
Vont pas nous fair’ ce coup d’salauds
Encor’ longtemps d’nous prendr’nos filles
Toute c’te bande de Concarneau
Pour nous faucher les plus gentilles
Viennent chez nous, à la gambille
Tout bien peignés, et bien sapés
Par rout’, par mer, les soirs de « Quille » !
D’Etel et de Saint Guénolé !
Poches remplies de gros billets
Ils s’croient les meilleurs pour la danse !
Mais nous, on va les faire danser
À notr’ façon, secouer leurs panses !
Ils s’figur’ p’t-être que, nous autres
On va êtr’ bien patients, patients
Ils vont bien voir, ces bons apôtres
On va leur causer gentiment !
Ils vont se souv’nir du grand Yves
De Tanguy, d’Joël et d’Jeannot
De l’expédition punitive
À v’nir nous chatouiller la peau !
I
Cela va être une saga, au moins quatre épisodes amis des bords de Loire, écoutez ça.
C’était en quarante deux, et c’était la guerre et j’avais huit ans. Notre ville vivait grise et triste et humiliée sous la botte allemande. L’occupation était sinistre et humiliante, très humiliante quand ils défilaient dans nos rues au son de leurs lourds refrains, de leurs chapeaux chinois avec leur fausse bonhomie, et leur arrogance, tandis que les mamans faisaient la queue dans le froid pour quelques maigres pitances non loin d’un immeuble d’où on entendait des cris, parfois. Ce soir-là, mon père avait failli se faire abattre par un soldat allemand, complètement « shlass », vers vingt trois heures, en rentrant d’une répétition d’orchestre, au théâtre où tout le monde avait travaillé dur sur un concerto de Mendelsohn, œuvre interdite, en raison des origines de l’auteur. Mon père l’avait déclaré sous le nom de Bartoldi, aucun rapport avec la suite. En regagnant de nuit, notre maison, rue de la Bretonnerie, il s’était fait menacer par un bruyant soldat allemand, complètement « torché », revolver à la main. Par bonheur, pour son salut, débouchèrent soudain, au coin d’une rue, deux grands gaillards d’officiers allemands sous leurs élégantes capes à revers rouges, tout à fait sobres ceux là, et soudain, fâchés fâchés, ils délivrèrent Papa, l’un en empoignant avec fermeté le gugusse, l’autre, l’étalant sur le trottoir, d’un foudroyant coup de pied au cul.
II – Été brûlant
C’était l’été en quarante-deux,
Avec les fridolins, hélas, comme gardiens !
Mais il régnait ces jours, climat moins rigoureux,
À cause de l’été sans doute, écoutez bien :
Las des horreurs de la guerre, Français et Allemands
S’faisaient plus détendus, r’léguant
Au fond d’leurs têtes cette abominable vie :
C’est pas la joie, la guerre ! Bonjour mélancolie.
J’étais bien petite et je m’promenais,
Dessus la rive droite de notre chère Loire,
Sous l’aile de Julie, nativ’ du Gâtinais,
Acolyte’ de Maman, de notre nid la gloire !
À cet instant choisi ; j’vis spectacle inoubliable,
Dimensions et couleurs du sexe masculin :
Entrevus jusqu’alors sur mes petits cousins,
Se déroulait en Loire spectacle inoubliable
Sur le « duis », au centre du fleuve, trois jeunes bidasses,
S’amusaient comme fous, trois très jeunes troufions,
Nus comme vers, exceptés bottes et ceinturons,
Et casques teutons fixés sur la calebasse.
Dans les sables, ils défilaient, avec des chants
Guerriers et grosses rigolades, avec beaucoup
De kif, ils défilaient, braillant leur joie de vivre,
Ils défilaient à la belle « queue leu leu »
Et pour avoir encore plus mine fière
Le dernier s’était mis plum’ de paon dans l’derrière.
Avec leurs chants guerriers et grosses rigolades,
Ayant probablement besoin d’un temps d’jeux,
D’insouciance enfantine, d’un peu de galèjade,
Pauvres gamins arrachés à leur terre,
Avec comme appât l’hypothétique croix de fer,
On vous pardonne petits bidasses, comme
Vous avez bien fait, en attendant Stalingrad
III
Nous ne sommes plus en guerre. La ville a rebâti ses maisons. On a été bien contents de recevoir beaucoup d’Algériens heureux de nous aider par leur travail à rebâtir nos maisons. En juin cette année là, il y eut, sur la rive gauche de la Loire, une très joyeuse kermesse avec trois manèges ; des stands de tir, du tir à l’arc, une loterie où j’eus la chance de gagner un lapin vivant, nous étions un trio très gai et exubérant de bonnes copines de lycée, vive la vie sous les arbres qui frissonnaient sous le vent de Loire bras dessus, bras dessous ; des fleurs dans nos chignons. On rigolait beaucoup. On prenait du bon temps, en suçant des pommes d’api en sucre au bout d’un bâton. Nous visitâmes, le cœur battant, une cartomancienne, et puis, on finit vers le soir par s’arrêter devant des tréteaux où un vieux maigrichon présentait des tours de cartes « gagnants » : il nous faisait beaucoup de boniment, présentant ses cartes en paquet nous enjoignant d’en choisir une. Nous les coquines avions très bien repéré qu’il nous faisait habilement le coup de la carte forcée. Alors, avec des rires, on se faisait un plaisir de prendre une autre carte, il commençait à y avoir pas mal de public, et le pauvre suait de grosses gouttes d’humiliation car ses manœuvres rataient. Au bout d’un moment, je n’oublierai jamais, il nous souffla tout bas : « laissez-moi donc travailler ! » Oh mon pauvre regard ! nous partîmes en lui disant au revoir, et rentrèrent chez nous, interdites et pas fières, sous un beau soleil de fin de journée, dans notre magnifique et humide paysage, sous le miroitement des eaux du grand fleuve, la rigolade était finie.
V – Dimi, dis-moi en italien
Mon amour, mon ami
Te souviens tu, Dimi
Des ballades de nuit
Oui, juste avant la nuit
Dans la douceur du soir
Tout au bord de la Loir’
Sus l’cadr’de ton vélo
Mon Dieu : qu’c’était y bô !
Tu m’ram’nais chez maman
Mon fiancé charmant
Et les bruits de la Loire
Sont tous dans ma mémoire
L’doux clapotis des eaux
Et les cris de vaneaux
Et l’oiseau à long col
Qui lourdement s’envol’
Dans le parfum du soir
Au beau temps de l’espoir
Toi et moi ont changé
P’tit’ mémère et pépé
Mais nos cœurs ont gardé
Le souv’nir enchanté
Cette chevauchée
Sur la vieill’ bicyclette
Jeune gars et fillette
Le long du fleuv’ de gloire
Vivante en la mémoire
VI
Chers amis,
J’achève ma saga de la Loire, par un épisode triste vécu il y a cent ans dans ma famille car, c’est un autre aspect de la vie du grand fleuve, de nombreux suicides.
À St-Benoît-sur-Loire, un jeune cousin d’une trentaine d’années se jeta dans l’eau noire du fleuve tout habillé, par le refus de l’épouser de la fille qu’il aimait depuis toujours. La famille, dans le désespoir ne retrouvait pas le corps du disparu. En désespoir de cause les parents recoururent à un procédé quasi magique, très connu dans la province : on pris un de ses sabots où l’on arrima, au talon une grosse bougie que l’on alluma. Puis, après une prière collective de tous, quelqu’un lança sur la Loire la minuscule embarcation. Le lendemain, on apprit que trois kilomètres en aval, le sabot s’était arrêté à quelques centimètres du corps du désespéré.
Voici de ces histoires de la Loire et du vieux temps.