Flipote

Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes. Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres sujets.

Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur — mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.


Toile représentant Françoise Giojuzza, alias Flipote. On peut lire\nla signature de l’auteur\u00a0: Jean Dreux, 1976

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.

La rose des sables

J’avais treize ans, cet été là, je traînais toujours dans le grand sac contenant mes affaires, avec le maillot de bain des belles journées de soleil, ma rose des sables, cadeau d’anniversaire de mon Papa, je revois encore cet objet charmant, percé en haut, pour pouvoir le porter au cou, en pendentif

J’y tenais, oui, énormément
C’était mon fétiche, je l’aimais

J’avais treize ans, et Damien, seize
On se « parlait », timidement
Lui, le « taiseux », rar’ment à l’aise
S’contentait d’regards caressants

Petit amour à fleur de cœur,
Petit amour, caché, non-dit,
Un petit bouquet de bonheur,
Là, sur la plage, à Loctudy,

Un jour je perdis en courant,
Ma dure rose, dans le sable,
Du bout du pied, en fouissant,
Je la cherchai, bien misérable,

Le lendemain, je vois Damien
Courir vers moi, en s’écriant :
Je l’ai trouvée !!! Vis’ dans ma main !
Je l’ai cherchée longtemps, longtemps,

Émue de joie, ce joli jour,
Fus plus attentive aux regards,
À ses jolis regards d’amour
D’amour si sage, à ses égards,

Quarante ans après, épilogue.

Tout à fait par pur hasard
Du côté de Saint-Cado,
J’aperçois Damien Bernard,
Oh ! un vrai Papy gâteau

Tiens ? c’est toi ? Aaaah ! tiens, c’est vous ?
Joue de gauche, joue de droite
Poignées de mains et bisous
Souffle au cœur et la main moite !

Peu après, dans un bistrot,
Il ose parler bientôt

Faut que j’t’avoue un secret :
Tu t’souviens d’ta ros’ des sables ?
C’tait moi qui l’avait chouravée :
Tu vas me trouver détestable !

Ainsi pouvais-j’me fair’ valoir
Disant l’avoir longtemps cherchée !
C’était pas beau ! Mais, va savoir ?
Je pensais qu’ça pourrait m’aider

La rouquine

J’aimais son odeur de rousse !
J’l’ai couchée sur le gazon…
Aaaah ! que sa peau était douce
Et que son cou sentait bon !

J’pensais pas en fair’ grand chose:
Ni au curé, ni au maire :
Juste un’ petit’ fleur de rose
Avant de fair’ militaire…

Elle était bien un peu sotte,
À pein’ savait-ell’ parler
Et ne portait pas d’culotte,
Facile à déshabiller !

C’tait aux jours de juillet
Tout juste après la moisson !…
J’étais un peu éméché
Et ell’ savait pas dire non

Mais voilà qu’pour la vendange
Lui poussait un p’tit bedon.
Je n’suis pas vraiment un ange,
Mais j’suis pas mauvais garçon.

Alors je m’suis dit comme ça :
A va m’faire une tite gamine
Peut-être un beau p’tit gars.
C’t’affair’ là me turlupine !

J’peux pas la laisser brailler,
Et la moquer tout l’canton !
C’te pauvre gosse « embarrassée »
Comme on dit à notre façon…

J’m’y suis pris comme un couillon !

Aussi j’lai m’née à l’église,
Tout en blanc, en fin d’été.
Et voulez vous que j’vous dise ?
Je n’l’ai jamais regretté.

Elle tient bien son ménage
C’est une très bonne maman !
Avec le temps et l’usage
Je suis dev’nu… son amant

On n’l’entend pas c’te Lolotte,
Elle est toujours pas parleuse
Elle est même un peu berlotte.
Bah ! C’est mieux qu’une allumeuse !

Les années passent, légères,
Notr’ vie ? C’est comme partout
Pis ya Jean et Bérengère
Qui eux, sont bavards comm’ tout

Notr’ maison en vaut une autre :
Faut jamais rien regretter
La vie d’un princ’ vaut la nôtre.
La rouquin’ sait cuisiner.

J’la croyais un peu sossotte
Ce n’était qu’une poupée
L’amour, sus ses ch’veux carotte
A mis un reflet doré.

La rue de papa

Gli gli gli gli gli gli
Quel est donc ce joli bruit ?

Ce bruit de clochette
Qui, à bas du lit, nous jette ?
C’est l’début de la journée
Chevrière est arrivée !

Descendez mam’zelle madame !
Venez donc traire vous-même,
C’tte jolie chèvre que j’aime
Vous aurez, frais pour ce soir
Le meilleur lait du terroir !

Sardines ! Sardin’ de Royan !
Y a du beurr’ dedans !
Vous serez contentes
Mes petit’ clientes !

Vitrier ! vitrier !
Z’avez rien d’cassé ?
On a toujours bien besoin
D’un gentil petit coup d’main !
J’ai quatr’ mômes à la maison
Sans compter la Margoton !

Rémouleur ! rémouleur !
Couteaux ! ciseaux !
J’affûte tous les outils
Des plus grands aux plus petits
Rémouleur ! dépêchez vous !
Pour deux heur’ en bas d’chez vous !
Rémouleur ! rémouleur !

J’vends du thym et d’l’estragon
Pour tous ceux qu’ont le « bourdon »
Mill’ pertuis et centaurée
Pour tous ceux qu’ont la diarrhée
Et la camomille en fleur
Pour ceux qu’ont des pein’ de cœur

Marchant d’chapeaux !
Chapeaux d’occasion
Pas chers et très beaux
Avec des plumes ou des zoziaux !

Ainsi s’éveillait la rue Sainte Catherine
Sous les f’nêtres de cuisine
Cett’ longue rue ouvrière
Où naquit jadis mon père
Il y a des années-lumière

La salle des pas perdus

La salle des pas perdus
De la belle gar’ Montparnasse,
Les amis morts sont revenus
C’est notre jeunesse qui passe

Le bal commence après minuit
Au milieu des indifférents,
Et au milieu du temps qui fuit
Les Jean, les Rémi, les Vincent

Au rendez-vous ! Au rendez-vous !
Mais invisibles à l’œil nu,
Pour le tango des « souv’nez vous »
Venus là, ni vus, ni connus

Donatella et toi Laurent,
Pourquoi pleurer le temps passé,
Puisqu’il habite le présent,
Au grand festin de l’amitié

Les voilà tous, et puis voilà
Celui que l’on n’attendait plus
Toujours en retard, Nicolas !
Dans quel nuage te cachais-tu ?

Les couples vals’ sans qu’on les voie
En mode sixties revêtus,
Les oiseaux chantent sur les toits
De la salle des pas perdus

Voyez un peu comme il s’en passe
Comme les anges sont émus !
À la bell’ gare Montparnasse
À la salle des pas-perdus

La souris et le bon Dieu

Croix de bois et croix de fer,
La souris va en enfer.
Ell’ ne s’est pas repentie
D’avoir dévoré le riz
Qu’ la patronne a préparé
Pour son cher petit bébé.
Chargée d’son péché mortel
Ell’ trottine vers le Ciel.
Pauvre, pauvre ratounelle,
La Lune se moque d’elle !
Les fess’ et le cœur serrés
Chez l’Bon Dieu, elle a frappé.
Mais l’Bon Dieu, en rigolant
Lui a dit, ouvrant tout grand :
« Entre, entre, mon enfant,
J’avais mêm’ pas remarqué
Ton formidable péché !
Tu vois, dans mon paradis
On aime bien les souris.
Qui aurait pu t’avertir
De ce qu’est le repentir,
Jamais présente au cathé,
Que saurais-tu du péché,
Souris verte, souris bleue
Fine du nez à la queue ? »

La tourterelle

Haut perchée sur une antenne,
Que fait donc la tourterelle ?
Se prend-elle pour une reine ?
Mais que fait-elle, que fait-elle ?

Elle capte les messages
Essaie de tout son petit cœur
De comprendre fous et sages
Qui jactent sur le bonheur…

Quant aux discours politiques
Elle n’y prête pas l’oreille
Dit : « Je n’y comprends que pouic »,
Les entendre m’ensommeille.

Tous ces mots très incongrus
Rêves creux d’humanoïdes
Sont râpeux et biscornus
Ne sont que des coques vides.

J’aime mieux Michel Bouj’nah
Smaïn, le gros Navarro
Cosby show et cetera
Et puis surtout Colombo !

C’est pour ça qu’elle sautille
Sur l’antenne tout le soir
Gracieuse et bien gentille,
Tache blanche, dans le noir.

La vérité

La vérité sur Flipote aujourd’hui

J’ai un petit copain :
Mon déambulateur
L’époux se fait lointain
Son état me fait peur.

Tout à coup, il s’absente,
Ne semble plus me voir
Calme, emprunte une sente
Qui n’mène nulle part.

Faut se faire à cela :
Voyag’ Dieu seul sait où
Soudain, le revoilà !
Où étais tu, mais où ?

Et pendant ces torpeurs,
S’dégrade ma carcasse :
Près d’l’ami déambulateur,
Petonnant de chambre en terrasse.

C’est ainsi
Grâce au Ciel je lis : je ris ;
Je cuisine, et modestement j’écris
Ça me sauve la vie

C’est une thérapie, nous sommes toujours unis /Gratias Agimus Tibi/.

Ne vous attristez point sur notre sort, il y a tellement plus malheureux que nous.
Je vous embrasse tous

La Vie

C’est le bruit de la mer dans la conque marine
C’est le sourire ému d’une jeune cousine
C’est l’épouse au doux cœur, caressante, et câline
Toute la compagnie des copains, des copines
Trinquant pour l’apéro, dans la chaude cuisine
Le travail accompli, et le soir et la bruine
Les œufs battus au lait avec sucre et farine
La soupe partagée, et la soirée coquine
Et les rires éclatants de la joie enfantine
Avec le plus petit, récitant sa comptine.