Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle
écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières
années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait
découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes.
Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis
proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres
sujets.
Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un
nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de
supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur
— mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis
d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le
forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.
Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.
« Il n’y a pas l’ombre d’un doute ! »
Disait un vieux mari jaloux
Ell’ cache un secret dans sa soute
Sous ses airs guillerets et doux
Mais qu’est-c’que c’est, l’ombre d’un doute ?
Que peut-on trouver d’plus léger ?
L’ombre d’un’ fourmi sur la route
L’ombre d’une fleur de pêcher ?
Un’ molécul’ de fumée rousse
Un chant d’oiseau enfin d’été
Un’ plume d’ange dans la nuit douce
Une larme de fiancée
Une gêne un peu obscure
Au moment d’aller aguicher
Sans prendre garde à sa blessure
L’homme d’un’ femme un peu usée,
Un grain de sable, la mouillure
Issue de la brume du pré
Une goutte de rosée pure
Sur le pistil d’une orchidée
La belle Aliénor
Avait des cheveux d’or
Et le vieux Gontran,
Des ép’rons d’argent
Mais il puait fort
Des extrémités:
Ses regards retors
N’étaient pas gâtés.
La belle Aliénor
Était courtisée
Par des gars en or
Qui se la voulaient.
Quel fut le choix arriéré
De cette pucelle fatale ?
En ayant tout bien pesé
Ell’ prit le moche animal !
Car pour vous révéler tout,
Elle raffolait des sous.
Habite chez moi dame au très charmant sourire
Jeune épouse ou fille en attente
D’un beau mari qui la contente
Ça, je ne saurais vous le dire
Elle vit sur le mur de la chambre où je dors
C’est un portrait de bell’ vêtue en rob’ de bal
De soie vert pistache, bouillonnés et ruchés
Jolies épaules nues en bouteill’ Saint-Galmier !
Mon père l’appelait : « Lucie de Pracontal »
Un bandeau de cheveux noirs, un petit air mutin,
Elle a un doux visage et deux beaux yeux de biche
Sombres et expressifs
Une carnation riche
Une bouche petite, un sourire enfantin
Et dans ses macarons joliment repliés
De rouges fleurs de grenadier
Bref, depuis bien des années je suis accoutumée d’elle
Je la vois tout le jour, plusieurs fois le jour !
Je ne me lasse point de son sein fait au tour
De sa grâce innocente de jeune demoiselle !
L’autre nuit éveillée vers la pointe du jour
Je me levai, pour m’aller un peu désaltérer
Quand je passai près d’elle, joli comme un amour
Là, j’eus, il faut le dire une étrange surprise
Car je vis à son cou, fait de rose et de neige
Petit cœur de rubis sur sa chaînette d’or
Elle me regarda, comme pris’ dans un piège
Et la première fois, abaissant ses paupières
Me cacha ses beaux yeux, animés et brillants
Avec demi sourir’ dessus ses tendres lèvres
Comme qui aurait pris d’insolites fièvres
Ce que j’ai vu, je l’ai vu
Car ce n’était point la berlue !
Aujourd’hui l’ordre est revenu
Je ne vois plus que son cou nu
Mais où donc s’en fut-elle allée
Armée de sa fière beauté,
Exquis’ dans sa robe de bal
Mademoisell’ de Pracontal ?
Madrigal précieux pour la R.A.T.P.
Ma dame au joli front, jolis yeux, joli nez
Je vous en prie, mon cœur, ne vous impatientez :
En vain, vous tempêtez et vous encolèrez :
Le train ne peut partir que les portes fermées.
Princesse de ma vie, même si le vouliez
Agir sur le Vieux Temps, ses minutes hâter,
Ma reine de beauté, jamais ne le pourriez :
Le train ne peut partir que les portes fermées.
Le rouge est sur vos joues, sur les ailes du nez
Délicat et mutin, une fine rosée
Sourd, odorante et blonde, ma belle irritée.
Le train ne peut partir que les portes fermées.
Calmez-vous, ma rebelle, colère vous messied
Car soit que vous dormiez, ou lisiez ou brodiez
Où, qu’à beau jouvenceau, traîtresse, vous rêviez
Le train ne peut partir que les portes fermées.
Il faut vous résigner, ô ma divinité
La maîtresse du temps, jamais ne le serez
Qui sait si n’oublierons les heures en allées,
Nul ne sait ce que font de nos cœurs les années.
Le Temps ne peut passer que les portes fermées.
Quand Marion s’en va-t-au pré
Suivie de ses trois biquettes
Tous les gars sont aux fenêtr’
Pour la regarder passer !
Quand Marion s’en va-t-au pré
Quand Marion s’en va-t-aux prunes
Avec ses fins oripeaux
Sur ses beaux p’tits seins jumeaux
Elle en agace plus d’une
Quand Marion s’en va-t-aux prunes
Refrain :
Marion, Marion, tu nous grises la tête
Et la nuit, tu nous ôtes le sommeil
Te voir de près, c’est une grande fête !
Marion, Marion, tu es notre soleil
Quand Marion fane les foins
Ell’ retrousse un peu sa cotte
Presque tous la disent sotte
Mais ils la matent de loin
Quand Marion fane les foins !
Quand Marion va-t-à la messe
Le bedeau se précipite
Pour lui offrir l’eau bénite
Son œil louche la caresse
Quand Marion va-t-à la messe
Quand Marion va-t-au bistrot
Dans sa jolie robe sage
Sa belle fleur au corsage
On entend plus d’un ragot
Quand Marion va-t-au bistrot
Quand Marion grimpe au pommier
Ses beau bas blancs bien tendus
Sur ses p’tits mollets dodus
Ils tiendraient bien son panier
Quand Marion grimpe au pommier
Quand la Marion s’est fiancée
Avec le frèr’ du curé
Ce n’fut pas pour notr’ bonheur
Tous en avaient gros sus l’cœur
Quand la Marion s’est fiancée
Quand Marion s’est mariée
Dans ce p’tit pays perdu
Chaque homm’ s’est senti cocu
Fraîche comm’ fleur de pêcher
Quand Marion s’est mariée
La chatte de la voisine
Chaque soir, voulait sortir !
Et filait par la cuisine,
Sans se soucier d’avertir
Tante Léa, un beau soir
S’aperçut de l’entreprise
« Où allez-vous, dans le noir
Ma petite malapprise ?
Pour quoi faire, et aller où
Restez là, je vous supplie
Partout rode le matou
Patientez donc, je vous prie
C’est l’affaire de trois jours
Le véto me l’a promis !
Dans ma maison vos amours
Produiront chatons de prix ! »
Mais la finaude obstinée
Refusa le prétendant
« N’êtes point ma destinée ! »
Cracha-t-elle, entre ses dents
Sans doute un urgent travail
L’attendait là sur les toits
Elle prit le soupirail
Et ceci, plus d’une fois
Que voulez vous qu’on y fasse
Elle aimait mieux un voyou
Un costaud sans loi ni race
Le dieu d’amour est un fou !
Trois chatons noirs comme poix
Sucent sa tendre mamelle
L’œil attendri et narquois,
Léa couve sa rebelle