Un gars de chez moi, qui est né et a grandi à deux pas de ma maison. Et à son maître en poésie, le forgeron du coin. La fin d’un étrange préjugé.
J’évoquai il y a peu mon mari, compagnon charpentier et cependant fin lettré et ami des poétes: « res populo miranda » (traduction: chose stupéfiante pour les gens). Lors que je l’épousai à 18 ans, ce fut un étonnement dans Landernau… D’abord une mise en bouche : deux vers superbes de mon cher Péguy (une allusion à un amour interdit) :
« Le jeune homme Bonheur voulait danser,
Mais le vieil homme Honneur voulut passer »
Bon, je ne résiste pas à vous conter ceci:
L’enfant Péguy allait chaque matin, vêtu de cape et béret de laine sombre, jusqu’à l’école annexe de l’école normale d’instituteurs. Ceux qu’il appela plus tard, avec révérence et tendresse, « les hussards noirs de la République. » Au retour de l’école il s’arrêtait chaque soir dans l’atelier du maréchal-ferrant et prenait place, assis dans un coin sur un tabouret. Dans une féerie d’étincelles de feu, le maître du lieu lui déclamait, avec le ton, en travaillant, tout le livre des Châtiments de Victor Hugo, puis après La légende des siècles, puis Les chants du crépuscule.
Ainsi, le petit Péguy connut, et goûta la Poésie dans son enfance, soir après soir dans l’atelier modeste et magique de cet Héphaïstos de faubourg. Ça ne tombait pas dans l’oreille d’un sourd.
Ainsi devint poète, lui aussi, et quel poète ! Cet enfant qui grandit en jeune homme au front sévère, chrétien de la meilleure eau, encore qu’anticlérical et socialiste absolu ! Ce qui était un drôle de mélange à l’époque ! Caractère ombrageux, pur, trop pur peut-être, facilement irritable et « fâchable ». Pacifiste en temps de paix, mais grand soldat en temps de guerre. Il mourut jeune en 14-18, sans avoir remis les pied à l’église, depuis le catéchisme. Il mourut même impénitent après un blasphème. Ce jeune officier reçut une balle au front tandis qu’il criait à ses hommes : « Tirez, mais tirez donc, Nom de Dieu ! »
Il a aujourd’hui son buste dans un jardin du même quartier, buste de bronze qui, à la fin de la dernière guerre, reçut lui aussi une balle, sur la tempe gauche juste au même endroit que l’homme 25 ans avant.
Voici quelques souvenirs de ce fils d’une rempailleuse de chaises qui reste l’honneur de notre ville.
Pardonnez-moi ce long récit qui n’est pas un poème. Peut-être mènera-t-il ceux qui ignorent notre Péguy à le lire et à le connaître.
N’ayez pas peur, ce n’est pas aussi rasant que vous le pensez !