Maintenant, Noémie

Amour courtois

Maintenant, Noémie, que tu as soixante ans
Et que te voilà veuve, amère et sans sourire
Écoute, mon cher cœur, voici venu le temps :
Combien je t’ai aimée sans jamais te le dire !

Quand on a eu vingt ans, tu préféras Mathieu.
Beau et sachant parler, il avait l’art de plaire.
Moi, j’étais renfermé, timide, et honteux
Je n’étais qu’un balourd en tenue militaire.

Oui, pendant des années, j’ai joué le bon copain.
On s’en allait pêcher tous les trois le dimanche
Ah ! Le doux friselis de ta robe de lin !
Belle maman rieuse, dans ta robe blanche.

Et ton cher nourrisson accroché à ton sein…

Le soir nous rentrions manger ton clafoutis
J’avais les joues en feu quand je frôlais ta hanche.
Et je revois encore ton visage qui penche
Pour couper le gâteau en trois juste parties.

Je pensais qu’il avait de la chance Mathieu
Qu’il ne connaissait pas quel était son bonheur…
Et doucement passait le vieux Temps du Bon Dieu
J’étais accoutumé à bien sceller mon cœur.

Maintenant que te voilà une mamie dodue
Suivie en tous lieux de cinq petits minots
De ton inévitable chienne poilue
Sans cesse au poulailler ou près de tes fourneaux,

Tu ne peux deviner ce que tu es pour moi
Encore bien content d’être proche voisin
De te voir chaque jour, et le cœur en émoi,
Je dis merci à Dieu pour ce riche destin.

Et nous parlons le soir, de jardin à jardin
Et quand plus tard, au ciel, brille la voie lactée
Nous nous taisons ensemble, assis sur les gradins
Des escaliers anciens, juste au bout des allées.