L’ombre

Quand je presse mon cheval pie
Mon ombre me suit à la trace
Je la vois bien, dans le taillis
A mes côtés, de place en place

« Que veux-tu », double, mon ami
Toi qui bondit avec audace
A ma droite, comme un cabri
Comme un fin cavalier de race

Dont je ne connais pas l’esprit
Dont je n’ai jamais vu la face
Jumeau venu du Paradis
Ta vie à la mienne s’enlace

Vois donc, déjà, le soir t’efface
Je ne sais pas où tu t’enfuis
La nuit t’emporte, en quel espace ?
En quel univers ? quel pays ?

Et en quel temps ? quelle Uranie ?
Ne jouons pas à pile ou face
Comprends le bien : beau cheval pie
L’autre bourrin est sur ta trace !

Si par hasard, j’interromps là
Ma course folle dans le soir
Sur la muraille, te voilà
Immobile fantôme noir

Tandis que les derniers rayons
D’un gros soleil oblique et rouge
Pointent mes reins et mes talons
Sur cette place ou rien ne bouge

Le Temps se fait cendreux et flasque
L’eau tinte, suave, dans la vasque
Sombre entité, frère fantasque
Que me veux tu, étrange masque ?