Une de nos parentes, cette Assuntina, m’a un jour montré une vieille lettre de son fiancé qui passait l’été à travailler en Bavière. Nous avons lu ça dans les rires et les larmes d’émotion. Ils sont maintenant mariés depuis trente ans, toujours amoureux, parents et grands parents, et lui, toujours jaloux !
Et ta bouche friande et ton bel œil luisant,
Ta beauté me prodigue mille fois la mort
Que je te voie de près ou dans mon cœur d’amant
Je me languis de toi : mon exil en Bavière
N’est dû qu’au seul besoin de bien gagner pour toi,
Au cœur de ce pays de gros buveurs de bière
Où je crève d’ennui car tu es loin de moi.
Je te pense* la nuit, je te pense le jour
Je te revois vendant tes raisins, tes melons
Je te revois marchant, belle comme l’amour
Sous ton grand panier** tout chargé de citrons.
Cela me rend malade, inquiet et zinzin
De te savoir chez nous en robe de satin
Jolie comme une fleur, belle comme un brugnon,
Sous les yeux indiscrets de tous ces grands couillons.
Tout près du lunghomare***, à la « passegiata**** »
Fais-tu le va-et-vient au bras de tes cousines ?
Chérie, oh ma chérie, baisse les yeux bien bas
Ne les regarde pas, fais-leur bien froide mine !
Je suis si loin de toi que « matto***** » j’en deviens
Si tu veux m’apaiser, dis-moi, au moins, ma mie
Dis-moi que tu travailles, dis-moi que tu t’abstiens
De t’montrer en maillot sur la plage à midi.
Je te sais brave fille, alors ne déçois pas
Mon amour insensé, oh mon Assuntina,
Je r’viens bientôt, bientôt, à la fin d’la saison
Tout cousu de billets pour ach’ter notr’ maison.
** Je m’autorise là une diérèse comme me l’a si gentiment expliqué Orpheo, c’est à dire qu’on fait entendre 3 pieds à l’intérieur du mot panier : Pa-ni-er.
*** C’est la promenade qui longe le bord de mer.
**** C’est le va-et-vient incessant des garçons en groupes et filles en groupes qui se croisent et se regardent.
***** Complètement fou.