La vieille ribaude

Il s’agit de la vieille ribaude dont parlait François Villon. Attention, c’est la ribaude qui parle, dans son vocabulaire.

Je n’ai plus de clientèle
C’est la faute à la vieillesse !
Il s’envole à tire-d’aile
Le bel oiseau de jeunesse

C’est mon âpre malheur,
Personne n’en peut mais
Plus ne trouve preneur
N’en trouverai jamais

Les ans en sont la cause,
Les salauds, les affreux :
L’épine suit la rose,
C’est la farce des dieux

Le temps nous joue ce tour
Sans nous en avertir
Où est mon bel amour ?
N’est plus que souvenir

Du temps qu’j’me défendais
Dans la rue d’la Heaum’rie
Tous le monde buvait
Bien tard après minuit

Parmi tous mes chalands
Me chantait « Beau-François »
Où est-y à présent ?
De longtemps, ne le vois.

Saltimbanque subtil,
Vers les mers d’Italie
Peut-être traîne-t-il,
Sa tchatche et son génie ?

Sa dégaine efflanquée
De mince écouvillon,
À moins que cette année
Ne croupisse en prison :

Le foutu caractère !
Tirait, prompt, le couteau.
Patience n’avait guère
Ce n’était pas son lot.

Loin de lui, je vieillis
Percluse et maigrelette
Vents du Nord et soucis
Seuls, me font la causette.

Et je pleure le temps
Où j’avais joue vermeille
(Il y a si longtemps !)
Et la cuisse pareille

À la Barrière d’Enfer
Je ne trouve d’abri
Contre le vent d’hiver
Qu’en un puant gourbi

Je cloche à la béquille
À la Chaussée d’Antin
En pauvre souquenille
Et minable béguin

Bien brave est le vicaire :
Me donn’ du pain, des noix
À la soup’ populaire
De la rue Quinquempoix

Un jour j’irai sous terre
Sans « pater », sans « ave »
La vieille solitaire,
Sans un « miserere »

Place Sainte Opportune
Qui donc la pleurera ?
À la fosse commune
Qui donc la couchera ?

Las ! Bel âge s’envole.
Aux « filles repenties »
La toux et la vérole
Me tiennent compagnie

Je m’en vais, clopinant
Sans dents et sans amis
Boul’vard Mémilmontant
Dans la nuit de Paris