Juste avant le débarquement

Début juin quarante quatre, les bombes de nos libérateurs ricains et anglais pleuvaient dru sur Orléans, les parents et grands parents s’installèrent à huit kilomètres de la ville à Combleux, un charmant village sur une boucle de la Loire. Et, bien sûr, je fus illico inscrite pour quatre semaines à l’école communale de l’endroit. Pour moi cette classe unique de cinq à quatorze ans, mixte en plus, constituait une nouveauté intéressante. La maîtresse me mit tout au fond, à côté d’un grand gars de treize ans, la boule à zéro, pataud et rigolard. Un autre grand, juste derrière, se pencha sur l’épaule de mon voisin de table : « quoi donc qu’c’est que c’te Parigote ? » Quel accueil ! bon ! je m’habitue peu à peu au quotidien d’une classe à quatre niveaux. Mon voisin n’était pas causant, pas vraiment passionné, il élevait des chenilles et des hannetons dans sa case et dessinait beaucoup sur son cahier de brouillon. La maîtresse lui confie souvent des besognes de confiance à l’extérieur de la classe : fendre ses bûches ou nourrir ses poules et ses lapins. Il ne me montrait jamais ses dessins ; et même il les terminait en les cachant avec sa main. Un jour, à l’improviste, il me dit : « tiens, regarde c’est le mari de la maîtresse ! » en me fourrant brusquement son cahier sous les yeux. J’y vis une silhouette de bonhomme, debout, de profil, légèrement cambré en arrière ; au niveau de la braguette : un zizi monstrueux, long et surtout tirebouchonné comme une queue de cochon en plein milieu de la classe sage et silencieuse. J’éclatai de rire, d’un rire prolongé, bruyant, inextinguible. La maîtresse, indignée, me tira par l’oreille sans me poser de questions et me traîna à côté de son bureau, debout au piquet, et m’y laissa jusqu’à l’heure de la cloche de midi. L’autre affreux, là-bas au fond, avait prestement fait disparaître son si beau dessin, et il exhibait un visage d’ange. Il n’y a pas de justice.