Dispute en plumant les oies

La fille :
Oh ! ma petit’ mèr’ je n’veux pas d’Colas.
Avec lui, je n’s’rais point du tout à l’aise
Moi, j’veux ce grand gars qu’a des yeux de braise,
Celui-là qu’on dit : « La bâtard du Roi » !
Il est rigolo, leste et dégourdi,
Donnez-moi-le donc ben vit’ pour mari !

La mère :
Ferme-moi ton bec, ma pauvre berlaude
T’auras le Colas de la grande Arnaude
Colas a du bien, on connaît son père
Et moi j’aim’rais mieux te voir au cim’tière
A dix pas sous terre et sous une croix
Que d’te voir dans l’lit du bâtard du Roi

La fille :
I’m plaît point du tout : gras comme un cochon
Sans parler d’ses yeux bordés de jambon,
Il pue à dix pas, pis que d’la charogne
Et moi j’aim’rais mieux m’foutr’ dans la Dordogne
Que d’sentir sur moi ses doigts boudinés.
D’subir son halein’, ses airs rechignés.

La mère :
Mais tais-toi un peu, ma pauvre’innocente
T’auras de la terre, une belle rente
Mariée au Colas, t’auras la bell’ vie
Avec la p’tit’ bonn’ pour fair’ ton frichti
Et toute jolie, dans ta robe blanche
Fais-lui bonn’ figur’ quand il vient dimanche !

La fille :
Maman, je suis droite et il est bancroche
On m’dit toute fraîche et il est chassieux
Il est tell’ment laid, moi je suis bien mieux
Je sais qu’j’suis bell’ et il est si moche
Je suis toute jeune, il est déjà vieux :
Vous parlez d’un choix, pour un amoureux.

La mère :
Ça suffit comm’ ça, non mais à la fin !
Tu vas voir un peu si j’en parle au père
Il aura vit’ fait d’décrocher l’gourdin
Çà, il pourait bien t’arranger l’derrière
T’mettre à la raison, j’y donn’rais pas tort
Et pis ton bâtard, il en f’rait un mort.

La fille :
Si j’marie l’Colas, i’m f’ra des enfants
Aussi bêt’ que lui et tout aussi roux
Si vous les trouvez par trop repoussants,
Il faudra, ma mèr’ vous en prendr’ qu’à vous
J’veux pas de petits laids comm’ le péché
J’veux m’en fabriquer qu’avec mon aimé.

La fille, en pleurnichant :
Donnez donc Colas à ma jeune soeur
C’est une petit’ qu’aim’ tout plein les sous
Y’a vraiment qu’l’argent qui lui tient à cœur
Comm’ ça on r’mettra tout à neuf chez vous
Elle aura de l’or tout plein ses deux bas
Moi faut pus jamais me parler d’Colas !

Elle se sauve en criant
Si vous me mariez de force,
J’lui mettrai des cornes ! ! !