À la rue du Bourdon blanc

Poème-souvenir de mon école primaire chérie dans ma ville en l’année quarante deux, j’avais sept ans, souvenir en deux épisodes.

À la rue du Bourdon blanc,
Je voudrais aller chercher
Une très petite enfant,
Disparue y a des années

J’ai soixant’ dix, des balais
Et l’autre huit ans à peine
Avec des tresses de jais
L’élèv’ de Madam’ Laveine

On arrivait à l’école
Dans la neige, à la nuit noire,
Avec Mireille et Nicole
Qui venaient des « Bas de Loire »

On avaient de drol’ d’horaires
Grâce aux nuits de « couvre-feu »
Les grands avaient des misères
Que nous ne savions qu’un peu

Oreill’ collées aux « tessefs »
Ils écoutaient des « poèmes »
Ah ! Jésus, Marie, Joseph !
On s’passait souvent de crèmes

Ils mettaient bien peu de beurre
Dans leurs pauvres épinards,
Le pain gris n’était qu’un leurre,
Un rèv’ la tranche de lard !

C’était bien un drôl’ de temps
Cette année quarante deux
On trouvait l’moyen pourtant
D’arranger pour être heureux

On ne les trouvait pas moches
Nos récrés de guernazelles
Nous sautions dans nos galoches
Pour les parties de marelle

Il faisait chaud près du poêle
Où l’on grillait des marrons
Sylvie Klein avait l’étoile
Cachée sous son capuchon

Nous, on la trouvait jolie
Ne sachant ce que c’était
Et l’emblème d’infamie
Il nous plaisait, nous plaisait !

La maîtresse la couvait
Sylvie était notre sœur
Et très vite, on oubliait
Ce qu’elle avait sur le cœur

Me r’voici devant l’école !
Je r’vois l’enfant que je fus
Entre Mireille et Nicole
Chers fantômes disparus

Je lui donne son goûter
En lui prenant sa menotte
Les souv’nirs vont se lever
Tout autour de la petiote

La Mireille est boulangère
Nicole vit au Gabon
Sylvie n’a pas r’vu sa mère
Celle aux tresses, qu’en dit-on

Qu’ell’ a plus le cœur si clair
Et des rides sur le front,
Songeant aux années de guerre
La guerr’ que nous ne savions !

Que pourrais-je bien lui dire
À la petite écolière
Allons, il faudra sourire
Lui sourire, et puis se taire