Flipote

Flipote, c’était ma Mamie, Françoise Giojuzza. Elle écrivait des poèmes pour son plaisir, qu’elle publiait les dernières années de sa vie sur un site communautaire de poésie qu’elle avait découvert, Ice Tea & Fluminis poèmes. Au fil du temps, elle s’était fait des amis sur ce site, des amis proches, avec qui elle échangeait sur la poésie et plein d’autres sujets.

Quelques mois après sa mort, j’ai entrepris d’éditer ses poèmes sur un nouveau site, afin d’avoir une typographie plus claire, et de supprimer les poèmes en double et ceux dont elle n’était pas l’auteur — mais qu’elle récitait de mémoire à l’attention de ses amis d’Internet — tout en laissant intacts les poèmes originaux sur le forum. Voici l’intégralité de sa prolifique production connue.


Toile représentant Françoise Giojuzza, alias Flipote. On peut lirela signature de l’auteur : Jean Dreux, 1976

Sans peur je balance en ligne
Mes mots de mamie indigne.
Bien pis ! je persiste et signe.

Madame de Champvallon

En mille neuf cent, Madame de Champvallon
Fut, par sa beauté, l’étoile d’Orléans,
Son jeune fils étudiait le violon
Au Conservatoire, fort assidûment

Un jour, pourquoi ? cela indiffère,
Elle vint trouver le vieux professeur
Un différend, sans doute, une colère ?
La belle dame, eut ce cri de colère

« Le règlement ? et bien sachez Monsieur
Que sincèrement je m’assieds dessus »
L’homme, répondit, un peu furieux :
« Alors, brisons là, n’en parlons plus !

Dame je vous le dis, bien sincèrement :
Il a bien de la chance, le règlement ! »

C’est une femme de ménage qui entendit cette célèbre réponse qui fit la joie des Orléanais, cette année-là.

Madame la Mort

Madame la Mort, vous ne me faites pas peur,
Qui vous a déguisée en squelette vainqueur ?
Vous qui venez guérir nos dernières fièvres,
En osant un baiser pour cueillir sur nos lèvres
Le souffle fragile d’une vie temporaire
Tellement menacée, hasardeuse et précaire
Belle employée du Ciel que la lumière escorte,
Envoyée quand c’est l’heure, ouvrir l’ultime porte.

Madame Laveine

À la suite de mon hommage à mon école du temps de la guerre, voici mon hommage à Madame Laveine, ma maîtresse de cours moyen première année de l’an quarante deux.

Je dois beaucoup à cette grande dame, point jolie ni élégante du tout, mais « allumeuse de flamme » dans les cœurs des enfants, c’est elle qui m’apprit vraiment à lire, pas seulement déchiffrer les mots et qui nous donna, à toutes, le goût forcené.

Huguenote, laïque, républicaine dans l’âme, elle était d’une tolérance merveilleuse et rare à l’époque, le jour de la communion solennelle, nous allions la visiter et lui offrir nos images pieuses de petites cathos, qu’elle acceptait avec joie et bisous.

Elle a un arbre à son nom à Yad Vashem, dans la vallée des justes pour avoir longuement caché des persécutés.

Ce fut la seule maîtresse d’école, à ma connaissance dans notre ville, à refuser de mettre le portrait du maréchal dans la classe !

Merci Madame Laveine, chère vieille dame, coiffée sans art, pour avoir fait de moi à vie une « rebelle », je vous embrasse et je vous aime.

Mado et Tito

La « bell’ Mado-chien-chien » est la seule gagneuse
Qui arpente le soir la grand’rue Saint Denis,
Suivi d’un artésien à la queue balayeuse
Qui trotte, truffe au vent, le regard attendri,

Derrière sa patronne, qu’il faut bien qu’il surveille,
Nom d’un chien ! La laisser monter seule près d’un con ?
Sa souveraine aimée, merveille des merveilles ?
Vous l’avez regardé ? Il n’en est pas question !

Il faut bien qu’il accepte Tito le mich’ton,
Bien tranquille, il est vrai, aplati sous le lit.
Tandis qu’Mado turbin’ de la bonne façon
Pour emplir l’escarcelle du fringant Toni :

Toni-la-nonchalance, Toni-le-bel-apôtre,
Le beau Toni des dam’, le Tony greluchon
Qui, de toute sa vie ne sut rien faire d’autre
Que siffler son pastis et taper le carton.

Vers trois heur’ du matin, la galère s’achève.
« Monte sur l’édredon, mon Tito, mon joli,
On va pouvoir dormir d’un bon dodo sans rêve :
Qu’on est bien tous les deux, les affreux sont partis. »

Maintenant, Noémie

Amour courtois

Maintenant, Noémie, que tu as soixante ans
Et que te voilà veuve, amère et sans sourire
Écoute, mon cher cœur, voici venu le temps :
Combien je t’ai aimée sans jamais te le dire !

Quand on a eu vingt ans, tu préféras Mathieu.
Beau et sachant parler, il avait l’art de plaire.
Moi, j’étais renfermé, timide, et honteux
Je n’étais qu’un balourd en tenue militaire.

Oui, pendant des années, j’ai joué le bon copain.
On s’en allait pêcher tous les trois le dimanche
Ah ! Le doux friselis de ta robe de lin !
Belle maman rieuse, dans ta robe blanche.

Et ton cher nourrisson accroché à ton sein…

Le soir nous rentrions manger ton clafoutis
J’avais les joues en feu quand je frôlais ta hanche.
Et je revois encore ton visage qui penche
Pour couper le gâteau en trois juste parties.

Je pensais qu’il avait de la chance Mathieu
Qu’il ne connaissait pas quel était son bonheur…
Et doucement passait le vieux Temps du Bon Dieu
J’étais accoutumé à bien sceller mon cœur.

Maintenant que te voilà une mamie dodue
Suivie en tous lieux de cinq petits minots
De ton inévitable chienne poilue
Sans cesse au poulailler ou près de tes fourneaux,

Tu ne peux deviner ce que tu es pour moi
Encore bien content d’être proche voisin
De te voir chaque jour, et le cœur en émoi,
Je dis merci à Dieu pour ce riche destin.

Et nous parlons le soir, de jardin à jardin
Et quand plus tard, au ciel, brille la voie lactée
Nous nous taisons ensemble, assis sur les gradins
Des escaliers anciens, juste au bout des allées.

Mais que fait-il donc ?

Seigneur ! nous sommes déjà à la mi-été et la chaleur est toujours aussi étouffante pas un souffle d’air !
Et il ne pleut toujours pas !
Ce matin, je suis allée trois fois au puits, et le potager peine encore.
J’y ai croisé Tamar qui habite encore plus loin !
Enfin ! j’ai pu cueillir cinq belles figues, un petit melon, et ramasser au poulailler, six beaux œufs frais pondus, Dieu merci.

On est déjà à la seizième heure, je vais aller porter à Yossef du lait, un petit pain rond que j’ai cuit tout à l’heure et des olives. Il travaille encore à cette heure ! toujours à l’atelier.

Voyons, nous sommes « Yom chi chi » ce jour. Demain c’est Shabbat, déjà, je rince les nappes, je les mets à sécher, qu’elles soient bien belles demain, et je passe à l’atelier.

Je vais jeter un coup d’œil sur la route, mais que fait-il ; le soleil baisse un peu déjà. Ce matin il s’est levé à six heures et il a bien aidé le père jusqu’à midi, il avait les cheveux poudreux de sciure. Yossef dit qu’il s’y prend très bien, je les entends rire tous les deux, des fois.
Mais que fait-il, il est encore à la synagogue, il étudie encore avec ses cousins et ses amis, et il parle ! il parle, si bien, il aime ça,
Quand il est tard, je suis toujours inquiète.

Maîtresse honoraire

Vous direz que j’ai tort de vouloir l’impossible :
Comme une dérangée, entretenir un rêve :
Un soupçon de merveille, éclatante, mais brève ;
Pauvre « dé » de magie, ivresse inaccessible

Hélas ! j’en ai bien peur : jamais ne serai sage !
Car je voudrais, c’est sûr ! être et avoir été,
Retrouver, quelque soir, mon printemps, mon été
Comme un écho perdu au fond d’un paysage

Et retrouver l’école, être un peu la maîtresse
L’espace de trois heures, retrouver ma jeunesse

Et puis, alors surtout que les enfants, devant moi ne soient pas étonnés, comme dans certains de mes rêves où j’arrive en classe en chemise de nuit et bigoudis, sans qu’aucun ne s’en inquiète et qu’ils continuent paisiblement à sortir leurs affaires en faisant furtivement des petites bêtises

Malgré la brise

Malgré la tiède brise
De ce semblant de printemps
J’ai le cœur las, j’ai l’âme grise
Ayez pitié de vos enfants

Viennent les jours où l’on fête
Notre général de Gaulle :
Grande voix pour ma p’tit’ tête
Qui résonna dans ma piaule

Souvent plus tard il m’agaça !
En soixante huit, notamment !
Avec du recul, laissons ça
Pour ce jour là ! compliment !