La deuxième chienne

À Babouche et à Darius

Tout le monde me dit :
À quoi te sert cette deuxième chienne ?
Cette petite Véga, de deux mois, encore cotonneuse, aux yeux d’enfant innocente, elle me sert à s’occuper de mes savates, à déchirer tout ce que je laisse traîner, à creuser des tunnels dans le gazon, à emporter le chapelet de son maître sur le sol de la buanderie.
Elle me sert à s’asseoir tout près de mes pieds quand je fais du piano, et à soupirer, soupirer, à me faire rire lorsque je la vois patauger sans état d’âme dans la bouillasse et revenir crottée jusqu’à la truffe dans le séjour ; quand elle ravage la poubelle oubliée, quand elle file en bondissant de joie vers l’atelier du patron.
Lorsqu’elle s’étonne de la première neige, de la première abeille, du premier lézard.
Quand elle pisse pour la première fois dehors, que je la complimente et qu’elle me regarde d’un air vertueux de grande fille.
Quand elle pose sa patte sur ma main pour que j’arrête l’orage qui lui fait si peur, quand elle saute autour de moi si je caresse ma vieille Poupoune, pour qu’elle redonne une deuxième jeunesse à ma chère vieille chienne noire en l’asticotant sans répit.
Pour qu’elle scandalise la siamoise et sa fille par ses privautés incongrues et sa vulgarité. Pour qu’elle me saute à la tête en gémissant lorsque je pleure, pour qu’elle me tienne les pieds dans sa bonne et tendre chaleur quand je m’assoupis et que j’entends ses soupirs de bébé chienne qui s’endort…
Voilà à quoi elle me sert, pauvres ignorants, si vous voulez le savoir !